Entrer en maison de repos est parfois un choix délibéré, la moins mauvaise solution quand la personne âgée ne peut plus vivre chez elle, parce que son état physique ou mental ne le permet plus. Mais, trop fréquemment, ce dernier déménagement n’est pas choisi se passe dans la précipitation, suite à une chute, une hospitalisation, un accident domestique. La famille – accompagnée de la personne concernée, dans le meilleur des cas -, visite dans l’urgence quelques établissements et, avec un peu (beaucoup) de chance, trouve une place.
Quelles que soient les circonstances de son arrivée, en passant la porte de la maison de repos, le désormais « résident » laisse derrière lui la plupart de ses effets personnels (meubles, objets, livres…). Il peut parfois apporter un meuble ou l’autre, quelques photos, quelques bibelots. C’est déjà un deuil en soi. Il laisse aussi derrière lui sa maison, son quartier, son cadre de vie, ses habitudes, ses relations de voisinage.
Ensuite, il faut se plier aux horaires de la maison: on ne choisit plus l’heure du lever, du coucher ou des repas. On ne choisit plus grand-chose, en fait. C’est un deuil de plus, celui du libre-arbitre, de la maîtrise de sa propre vie; cela porte atteinte à la dignité de la personne.
S’il a de la chance, le résident recevra, souvent ou moins souvent, la visite de ses enfants, petits-enfants, amis… sinon, il tâchera de remplir ses journées par la télévision, la lecture, des conversations ou des activités avec d’autres résidents, organisées – ou non – par la maison de repos.
Un lieu sans vie ?
Vue sous cet angle, la maison de repos ne fait guère envie. Certes, il y en a où il fait bon vivre, où les résidents ont leur mot à dire, où on leur propose des activités variées. Mais c’est loin d’être la majorité. Trop souvent, par manque de personnel ou d’imagination, la maison de repos cantonne les personnes âgées dans une inutilité forcée. Patients, passifs, on n’attend plus rien d’eux, sinon qu’ils soient « sages » et ne perturbent pas le quotidien des soignants ni des autres résidents. « On ne leur demande plus rien, comme s’ils n’avaient plus rien à donner, comme s’ils n’étaient plus que des personnes qu’il faut assister », constate Jean-Pierre Haquin.
Un jour, ce responsable d’un centre d’accueil pour enfants va rendre visite à une connaissance en maison de repos. Ce qu’il y voit lui fait froid dans le dos. La maison est très bien tenue, l’hygiène y est respectée et les pensionnaires reçoivent tous les soins physiques dont ils ont besoin. Mais il n’y a plus de vie dans ce lieu. Comme si le jour où l’on entre dans une maison de repos, on se préparait seulement à «passer de l’autre côté», comme si on n’était plus qu’une personne âgée, dépendante et qui ne pouvait plus rien apporter. Oublié le passé de toutes ces personnes qui ont été enseignants, agriculteurs, comptables, mères de famille, responsables d’équipe, musiciens, passionnés de biologie, etc. Oublié tout ce qui faisait partie de leur vie et qu’eux – en entrant en tout cas – n’ont pas oublié…
La bêche et le râteau
L’histoire de Joseph particulièrement. Joseph, célibataire, habite une petite ferme dans le sud de la Belgique. Il vieillit peu à peu et se dit qu’il n’y aura personne pour s’occuper de lui quand il sera vraiment vieux. Il décide donc de vendre ses bêtes et sa petite maison et d’aller dans une maison de repos où il pourra vivre tranquillement ses vieux jours, avec d’autres. Il arrive au lieu dit, tenant sa valise dans la main droite et sa bêche et son râteau dans la main gauche, bien décidé à continuer à jardiner comme il aime tant le faire. Là, la vie qu’il comptait ajouter à ses années (1) s’évanouit. On lui dit qu’un homme à tout faire s’occupe du jardin et qu’il n’aura donc plus besoin de ses outils, qui seront bien gardés à l’abri. Joseph meurt peu de temps après… Cette histoire fait dire à Jean-Pierre que « si on n’entre pas tous en maison de repos avec sa bêche et son râteau, quel sens la vie a-t-elle encore ? ».
Or, il se fait que Jean-Pierre Haquin a des soucis dans sa maison d’accueil, où vivent des enfants de 1 à 12 ans. En 1990, l’ONE décide en effet que, pour des raisons budgétaires, il ne subsidiera plus que les enfants jusqu’à l’âge de 7 ans. Cela signifie la perte de moyens financiers pour l’équivalent de 70 enfants – sur 90 – et de plusieurs emplois.
Peu à peu prend forme dans sa tête le projet de créer un nouveau type de maison de repos. Un lieu où l’on vive, où l’on soit utile. Notre société aime les seniors pas trop vieux, en bonne santé, actifs, consommateurs. Par contre, lorsqu’ils deviennent dépendants, ils ne sont plus que des inactifs dont il faut payer la pension: un coût, un poids, un problème (2).
La maison de repos serait-elle un microcosme hors du monde ? Le simple fait d’y habiter rendrait-il la personne inutile, sans projet, sans initiative ? Jean-Pierre Haquin est persuadé qu’il n’en est rien, ou en tout cas qu’il peut en être autrement. Comment ? En la voyant comme «un vrai lieu de vie » et non comme « un hôpital amélioré ».
Et qu’est-ce qui apporte plus de vie que des enfants ? Ceux de la maison d’accueil dont il est responsable sont souvent en manque de repères familiaux stables et sereins. Comment la présence d’enfants pourrait-elle être un moteur de vie pour des
aînés ? Et comment des aînés peuvent-ils donner vie aux enfants ?
L’Auberge du Vivier
C’est ainsi que le projet de « l’Auberge duVivier» voit peu à peu le jour: en recréant des liens intergénérationnels et en repensant la fonction sociale du 3e et du 4e âge. Au bout de neuf mois de travaux, en 1991, le « Centre Saint-Aubain », qui accueillait les enfants, est devenu « L’Auberge du Vivier ». Petits et grands ne vivent pas dans les mêmes locaux, les uns ayant tendance à être bruyants et les autres aspirant au calme. Mais ils se rencontrent pour des activités communes. Une septantaine de personnes âgées et une trentaine d’enfants vivent ainsi à L’Auberge du Vivier.
L’architecture elle-même est conçue pour susciter la rencontre : les studios et appartements sont organisés par « quartier », les couloirs portent des noms de rues, il y a des places où l’on peut s’asseoir et tailler une bavette… On aurait presque envie que les urbanistes s’inspirent de L’Auberge du Vivier pour rendre nos villes plus conviviales !
Cette expérience n’est pas unique. L’une des plus connues est Le Balloir, à Liège, où aînés, jeunes mamans et leurs tout- petits se rencontrent lors de repas et d’activités en commun. Les jeunes mamans, souvent sans formation ni expérience professionnelle, reprennent confiance en elles en accompagnant les personnes âgées, en apprenant à les soigner, à cuisiner. Les personnes âgées qui le souhaitent participent à la mise au lit des enfants, leur racontent des histoires. On est bien loin ici d’ateliers occupationnels.
A l’Auberge du Vivier ou au Balloir – ce ne sont que des exemples (3) -, les personnes âgées sont véritablement actrices, elles créent de la cohésion sociale, contribuent même, comme au Balloir, à la lutte contre l’exclusion sociale.
Mêler les petits et les très âgés, c’est renouer les deux bouts de la vie, qui ne se rencontrent plus guère dans notre société compartimentée. C’est, entre les deux, renouer avec ceux et celles qui sont au milieu du chemin : les enfants des aînés et les parents des plus jeunes. La présence de bénévoles à l’Auberge du Vivier assure aussi un lien avec l’extérieur, la société.
Si la part des seniors va croissant dans notre société, nous ne pouvons pas nous contenter de les cantonner dans des maisons de repos. C’est non seulement leur manquer de respect, leur faire comprendre qu’ils sont « de trop », mais c’est priver la société de tout ce qu’ils peuvent lui apporter en termes d’expérience, de savoirs, de mémoire, de cohésion sociale. Cette dernière ne concerne pas seulement les liens entre les personnes : elle touche aussi, chez chaque personne, la cohérence entre son passé, son présent et son avenir. Les aînés donnent des racines aux plus jeunes en étant témoins du passé, de ce sur quoi le présent s’est construit. Mais ils représentent aussi l’avenir, rappelant que la vieillesse est le propre des vivants. Que le temps à venir de chacun se construit ensemble. Et que faire de la vieillesse une période féconde et heureuse, c’est l’affaire – et l’intérêt – de toute la société, de nous tous.
Isabelle Franck, Vivre Ensemble Education
Grâce au témoignage de J.P. Haquin
Analyse publiée en juillet 2013 par Vivre Ensemble Education
Photo : © Assembl’âges asbl
(1) Référence à l’adage « Si l’on ne peut ajouter des années à la vie, tâchons d’ajouter de la vie aux années »
(2) Voir « Vieillissement actif : rentables jusqu’au bout ? », analyse de Vivre Ensemble, 2013. http://www.vivre-ensemble.be/?Vieillissement-actif-rentables
(3) Voir aussi les activités de l’association « Assembl’âges©» : www.assemblages-asbl.be
Bonjour,
Je trouve qu’il est important de parler des conditions de vie dans les maisons des personnes âgées et je comprends votre démarche sur l’intergénérationnel. Même si je me pose certaines questions sur le développement de l’enfant dans un tel endroit, comme en cas de décès d’une personne âgée… Les enfants sont placés pour diverses raisons et une partie d’entre eux souffre d’un sentiment d’abandon. La disparition d’une grand-mère ou d’un grand-père auquel l’enfant se serait attaché, ne risque-t-elle pas de renforcer chez l’enfant la peur du lien ? D’autres points d’interrogations pourraient être étudiés. De ce fait, ne serait-il pas mieux pour les personnes âgées et les enfants de ne pas cohabiter ensemble, mais de partager des activités extérieures en commun de temps en temps ? Ce serait une façon de sortir de leur quatre murs. Vous faites allusion à ce paysan. C’est une bien jolie allégorie, mais il est facile pour un Centre d’accueil de mettre en avant une histoire afin de valoriser leur pédagogie, cela évite de parler et encore mieux, de démontrer l’application de cette pédagogie sur le terrain.
Vous relevez ceci dans votre article : « Jean-Pierre Haquin a des soucis dans sa maison d’accueil, où vivent des enfants de 1 à 12 ans. En 1990, l’ONE décide en effet que, pour des raisons budgétaires, il ne subsidiera plus que les enfants jusqu’à l’âge de 7 ans. Cela signifie la perte de moyens financiers pour l’équivalent de 70 enfants »
Ce qui veut dire qu’à la base, ce Centre n’a pas créé un projet intergénérationnel pour le bien-être de l’enfant et de la personne âgée, mais parce qu’il fallait combler un déficit budgétaire. C’est sans doute lié à la même raison qui a poussé les responsables de ce Centre à mettre en place une maison d’enfants sur Fleurus. Mais là, il n’était pas question d’intergénérationnel, que ce soit comme cohabitant ou par un travail en réseau. Ce qui me conduit à penser que l’objectif du Centre du Vivier n’était pas de développer un nouveau projet qu’il fallait défendre avec conviction, mais bien à combler le manque à gagner.
Vous relevez également ceci : « Cela signifie la perte de moyens financiers (…) et de plusieurs emplois. »
La difficulté pour le pouvoir organisateur était sans doute la perte totale de leur Centre d’accueil plutôt que de l’emploi, puisque le Centre de Fleurus a fermé ses portes quelques années après son ouverture et sans problème de la part des responsables pour la perte d’emploi. Voici un article de « La Dernière Heure » relevé sur le net :
« 22 travailleurs et 30 petits pensionnaires désemparés face à une probable fermeture
FLEURUS (…) Centre d’accueil pour enfants et pouponnière. Les enfants qui y vivent sont âgés de 0 à 12 ans et généralement placés par le juge. Et, depuis plusieurs mois, le patron veut se défaire de son établissement, un des seuls du genre dans la région. Mais, les 22 personnes qui y travaillent craignent non seulement pour leur emploi mais aussi l’avenir des jeunes fragiles.
La série noire a démarré le 15 janvier dernier lorsqu’une éducatrice a été licenciée de l’établissement suite à la plainte d’une mère devant la justice. Selon, Rudy Pirquet, permanent Setca, le patron, Jean-Pierre Haquin, a montré dès cet instant son intention de se défaire de l’auberge : «Il a évoqué plusieurs raisons. Propriétaire d’un autre établissement à Habay-la-Neuve, il en avait notamment marre de faire la route entre Arlon et Charleroi. Il a également parlé de problèmes de santé ou encore d’un mauvais esprit d’équipe au sein du personnel».
» Il nous a même dit que lors de notre préavis nous n’étions pas à la hauteur. Alors que nous nous donnons sans compter. Nous gagnons à peine 1000 euros par mois pour prester de 57 à 60 heures par semaine » déclare un membre du personnel.
Le patron s’était mis en quête d’un repreneur et selon le Setca, le seul qui s’est manifesté n’a pas accepté estimant que l’auberge ne présentait pas toutes les garanties financières.
Le patron a donc décidé de licencier tout le monde, les derniers préavis tombant à échéance le 31 décembre. Mais, la procédure Renault n’a pas été respectée pour 4 personnes. Le Setca a déposé un préavis de grève et demande donc une conciliation au ministère du Travail.
Une implantation maternelle de l’IND pourrait d’ailleurs fermer ses portes si l’auberge disparaît.
© La Dernière Heure 2003 »
Cela démontre bien des conflits internes tout comme un manque d’investissement de la part des responsables dans cette maison. Il ne peut en être autrement pour le Centre du Vivier. Certes, Jean-Pierre Haquin a pris sa pension, mais le Pouvoir Organisateur, dont il fait partie, reste le même.
Ceci n’est sans doute qu’une partie cachée de votre article. Comme, je l’ai marqué dans ma première intervention : « il aurait mieux valu prendre le temps de rédiger cet article également sur le fond, sur les réelles intentions des intervenants, sur la congruence de leur démarche, autant social que pédagogique. » Et j’ajouterai aujourd’hui : « sur l’aspect humain ».
Toutefois, je viens de remarquer que vous étiez une association Chrétienne. Je comprends alors votre choix de l’établissement du Vivier, puisque Ce Centre d’accueil est issu d’une philosophie Chrétienne et dirigé par un Pouvoir Organisateur Chrétien.
Bien à vous.
Lorsqu’on s’intéresse aux maisons de repos, on découvre vite qu’il y a le meilleur et le pire. Dans certains établissements, on peut bien sûr apporter une partie de ses effets personnels. Mais dans une chambre, il n’y a forcément pas de place pour tout et la personne doit abandonner la plus grande partie de ses meubles et de ses objets. Elle perd aussi la maîtrise de son emploi du temps qui est déterminé par les impératifs de la vie communautaire. Ce n’est pas une critique, c’est un constat objectif. Si vous dépassez le 2e paragraphe, vous lirez l’histoire de Joseph, qui illustre ce deuil que doit faire la personne de sa vie passée. Selon les endroits, on permettra à la personne de continuer à exprimer ce qu’elle est, à valoriser ses compétences au service des autres résidents, que ce soit, par exemple, pour l’animation ou la préparation des repas. Mais cela demande un investissement de la part du personnel et de la direction et ce n’est pas ce que l’on observe le plus souvent. Ce que nous avons voulu souligner dans cette analyse, c’est que, même si les maisons de repos offrent pour la plupart de bonnes conditions de vie et du respect de la personne, elles deviennent de facto un monde hors du monde, sans guère plus de contact avec le monde « extérieur » que les visites des familles et des proches. Elle visait surtout à faire connaître les bénéfices d’initiatives qui décloisonnent les générations, qui permettent aux aînés de continuer à apporter quelque chose aux autres, et aux enfants de bénéficier de l’expérience et de la présence des personnes âgées.
Je suis également un peu surprise de votre article. Je suis en première année d’aide-soignante et ce que vous dites déjà dans le 2ème paragraphe est faux!!
Les nouveaux résidents peuvent emporter avec eux leurs effets personnels: livres, photos,… on leur invite même à reprendre un maximum de choses venant de chez elle pour que celle-ci puisse organiser au mieux son nouveau cadre de vie et de faire des liens avec son ancien chez lui.
une maison de repos n’est pas une prison!! Certaines même offre la possibilité aux résidents de reprendre leurs meubles (bon bien sûr il faut avoir suffisamment de place).
Je me suis arrêtée au paragraphe numéro 2 car je ne voulais pas en lire d’avantage.
Je trouve cela honteux
Je découvre votre site, mais ce que je viens de lire ne me donne pas l’envie d’aller plus loin. Lorsque l’on inscrit sur un site des mots comme justice sociale, dénoncer, réinventer, dynamique constructive, modèle de société, capital prime sur l’humain et j’en passe… Il est certain que c’est plutôt noble, mais il me semble important lorsque l’on parle de droit humain, de ne pas rédiger un article en se limitant à la forme. Si vous souhaitiez donner du crédit à vos objectifs, il aurait mieux valu prendre le temps de rédiger cet article également sur le fond, sur les réelles intentions des intervenants, sur la congruence de leur démarche, autant social que pédagogique.
Bien à vous