Des citoyens aussi veulent donner leur avis ! Insatisfaits par le manque de fermeté politique, des collectifs de la société civile se sont mis en place pour faire entendre une voix citoyenne et participer davantage au débat démocratique sur les questions économiques. C’est notamment le cas du Collectif Roosevelt (www.roosevelt2012.be), composé d’experts du domaine financier et de non-experts qui proposent des réformes en vue d’une sortie de crise durable. En collaboration avec le Réseau Financement Alternatif et FairFin, il a lancé la campagne « Spéculation : pas avec mon pognon! » qui explique les différents enjeux et propose de signer une pétition. Pour y accéder www.scinderlesbanques.be
L‘association des banques de dépôt et des banques d’investissement, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’a pas toujours été la norme. Aux États-Unis, la restriction des activités bancaires est un principe qui apparaît dès 1838. Dans un but de solidité et de sécurité, les banques ne peuvent participer à des entreprises commerciales et donc posséder des actions. À partir de 1910, les banques américaines commencent à contourner l’impossibilité de détenir des actions en créant des filiales non régulées qui échangent toutes sortes de titres. Suite à la crise de 1929, le “Glass-Steagall Act” adopté en 1933 au Congrès américain réaffirme durablement la séparation des banques de dépôt et des banques d’investissement. Cependant, la banque et la finance ont énormément évolué au cours des 25 dernières années et la dérégulation a permis une croissance massive du secteur financier (3). En 1999, le “Gramm-Leach-Bliley Act” abroge le “Glass-Steagall Act” sans pour autant autoriser les banques à contrôler des sociétés commerciales.
Face à la crise globale de 1929, l’Europe a adopté un comportement différent de celui des États-Unis. À l’exception de certains pays comme la Belgique disposant en 1933-1934 d’une mesure similaire au “Glass-Steagall Act”, la plupart des banques des pays européens (Allemagne, France) se sont développées en liens étroits avec les entreprises industrielles. Les banques allemandes préfiguraient les banques universelles à venir.
La crise bancaire de 2008 trouve son origine dans le fait que les autorités politiques ont toléré que les banques se lancent dans la spéculation financière avec les dépôts des particuliers et des entreprises. Abandonnant progressivement le “Glass-Steagall Act” mis en place dans les années 30’, elles ont permis aux petites banques de dépôt de se lancer dans des activités financières à haut rendement et à risque élevé.
Une association contre nature
Deux problèmes majeurs se posent quand les banques sont autorisées à se lancer dans la spéculation. Le premier est la fragilité inhérente à l’activité de transformation des banques de dépôt : elles attirent des dépôts à court terme qu’elles transforment en crédit à long terme, supposant une impasse de remboursement si tous les déposants décident de venir retirer leur argent en même temps. Le second problème est la garantie d’une partie des dépôts par l’État. Les banquiers ainsi sécurisés peuvent continuer à prendre des risques sans crainte. L’asymétrie est bien réelle dans ces banques qui privatisent les profits et socialisent les pertes. Cette asymétrie éprouvée en 2008 avec le sauvetage des banques par les États doit être résorbée (4), afin que les banques participent à la stabilité financière au lieu de la mettre en danger.
Nombreuses sont les entités opposées à cette scission. Notamment parce que le soutien public permet aux banques d’avoir accès à un financement de marché à moindre coût. Parmi ces acteurs farouches, les lobbies bancaires représentent une force considérable. L’économiste Paul De Grauwe, dans un article du Soir (5), répertoriait les différents arguments habituellement avancés par les lobbies pour paralyser la progression des réformes. Nous en citons quelques-uns.
“Cela ne peut se faire que si les autres pays font de même, si tout le monde se convertit à l’idée” (6). De Grauwe avance l’exemple du Canada, qui a maintenu la séparation des activités bancaires tout au long des dernières décennies, tandis que les États-Unis fusionnèrent les deux types de banques. Ce choix a isolé le Canada de la crise bancaire. Actuellement, le Royaume-Uni et les États-Unis se sont engagés sur la voie de la scission.
Un autre argument en vogue est celui selon lequel scinder les banques reviendrait à nuire au bon financement de l’économie réelle. Pourtant, observer les bilans des banques revient à constater le peu de capital dédié à l’économie réelle. Selon nos informations, les banques européennes consacrent moins de 30% (7) de leur bilan au financement de l’économie réelle. Qu’une partie du bilan soit consacrée à des produits financiers est compréhensible, mais l’ampleur de la différence est interpellante.
Un débat financier capturé
À travers le temps, la finance est devenue de plus en plus complexe, accessible seulement à un cercle restreint d’experts du secteur. La banque s’est éloignée de ses fonctions de base (8), négligeant les règles de bonne gestion pour investir dans des activités risquées à haut rendement et faible transparence. En conséquence, l’accessibilité au débat sur les sujets bancaires et financiers pose problème pour le citoyen. Même les politiques semblent dépassés par les propositions de lois financières qu’ils reçoivent. Dès lors, la position des lobbies du secteur bancaire devient stratégique. Dotés de moyens importants, ils tentent de peser de tout leur poids sur les décisions des sphères politiques et de les orienter en faveur de leurs intérêts de profitabilité. Cette démission du politique devant la complexité de la finance ne va pas permettre de brider les banquiers qui, tant qu’ils ne seront pas limités par des législations claires, ne cesseront de chercher des niches d’investissement où maximiser les profits.
La Belgique peut agir !
Les États-Unis et le Royaume-Uni ont déjà annoncé leur intention d’interdire aux banques des activités de négociation pour compte propre. Malgré sa petite taille, et sa dépendance à l’Europe, la Belgique ne doit pas minimiser l’impact de ses choix, qu’elle pourra défendre au Conseil européen. La Banque Nationale a publié un rapport final (9) en juillet 2013 sur les réformes bancaires structurelles en Belgique. Ce rapport incite la Belgique à suivre sa propre voie en instaurant plus de contrôle et en exigeant des banques que leurs activités de spéculation pour comptes propres se réalisent avec leur propre capital plutôt qu’avec leurs dépôts. Il est intéressant de savoir que le pourcentage de capital à conserver dans les banques est passé de 30% au début du XXe siècle à 2% dans les années 80’, pour remonter à 7% avec Bâle III (10). Ce qui signifie qu’avec 7 euros de capital provenant de leurs actionnaires, les banques peuvent emprunter et placer 100 euros, contre 3 au début du XXe siècle.
Six ans après le début de la crise, les ébauches de réformes sont nettement insuffisantes. Les recommandations de Bâle III restent basées sur un principe de pondération du risque qui se fie au calcul des banques quant aux risques qu’elles prennent. Une réforme d’envergure devrait pouvoir associer à la scission des banques l’accroissement des fonds propres pour éviter de recourir à des fonds publics en cas de crise. Bâle III a renforcé les exigences de fonds propres mais continue d’admettre les mêmes modalités de calcul des risques des banques qui se sont pourtant révélées stériles au moment de la crise. De plus, le Comité de Bâle n’est pas législateur. Il revient à présent aux différentes instances démocratiques de décider si et comment elles vont transformer ces propositions en lois (11), en sachant que la transition ne sera pas facile et que la mise en application prendra du temps.
Géraldine Duquenne, le groupe de travail éthécopol (12) de Justice et Paix, Décembre 2013
Illu : campagne « Spéculation : pas avec mon pognon! » – www.scinderlesbanques.be
Un lexique de concepts économiques est disponible en consultant le texte en ligne sur www.justicepaix.be (accès au pdf).

(1) Les activités de dépôt correspondent à la fonction première des banques, à savoir le financement de l’économie. Elles sont réalisées par les banques de dépôt traditionnelles, appelées aussi banques de détail, qui reçoivent des capitaux que des clients mettent en dépôt et qu’elles injectent dans l’économie sous forme de crédits.
(2) Les activités de marché regroupent les interventions des banques sur les marchés financiers, afin d’apporter de la liquidité (représente la capacité à acheter ou à vendre rapidement les actifs qui y sont cotés sans que cela ait d’effet majeur sur les prix) sur les marchés secondaires (échanges de titres existants), de couvrir leurs risques excessifs, ou de spéculer. Elles sont réalisées par les banques d’affaires ou d’investissement, les salles de marché, les hedge funds…
(3) www.finance-watch.org
(4) Entre 2008 et 2011, le coût du sauvetage des banques dans l’UE a atteint 1600 milliards de recapitalisation.
(5) De Grauwe Paul, professeur à la London School of economics, www.lesoir.be/archives
(6) Ibid.
(7) Selon la composition du bilan bancaire, BNP Paribas Fortis consacre 33% de son actif aux crédits, Barclays 29% et la Deutsche Bank 20%. Tandis que les actifs dédiés aux produits financiers représentent 51% chez BNP, 61% chez Barclays et 63% pour la Deutsche Bank.
(8) Les trois fonctions de base de la banque sont : la garantie de la sécurité des dépôts des épargnants, le fonctionnement et l’intégrité des systèmes de payement, et le financement des ménages et des entreprises par le crédit et le financement de marché.
(9) www.nbb.be/doc (accès au pdf)
(10) Le Comité de Bâle sur la supervision bancaire est responsable de la stabilité des institutions bancaires. Depuis sa création par les gouverneurs des banques centrales du G10, en 1974, il a produit de nombreuses règles, recommandations et études.
(11) Lamberts Philippe, Régulation bancaire : (petite) histoire d’un marathon législatif, p. 4. www.philippelamberts.eu
(12) Si vous désirez rejoindre ce groupe et participer aux travaux, contactez axelle.fischer@justicepaix.be (02 738 08 01)