Femmes âgées, immigrées, ignorées…Reportages

10 février 2014

Le Parcours d’intégration, actuellement testé en Wallonie, s’adresse aux primo-arrivants. Mais les étrangers présents chez nous depuis parfois des décennies ont aussi besoin d’un coup de pouce pour mieux vivre en Belgique. L’association Génération Espoir (Ottignies) met en lumière un public presque invisible : les femmes arrivées chez nous dans les années 60, qui vieillissent trop souvent dans l’isolement et la dépression.

Notre pays n’a pas toujours cherché à limiter l’entrée d’étrangers sur son territoire, loin s’en faut ! Il fut un temps où l’on manquait de main-d’œuvre dans les mines de charbon et dans l’industrie, où l’on souhaitait repeupler la Belgique. En ce temps-là – juste après la 2e Guerre mondiale –, 76000 Italiens furent « importés » en échange de charbon. Après l’Italie, l’Espagne et la Grèce sont sollicités. En 1957, le Maroc propose sa main-d’œuvre à la Belgique, qui accepte bien volontiers. Le 17 août 1964, notre pays signe avec le Maroc un accord sur l’immigration.

La Belgique accueille les travailleurs marocains à bras ouverts. Beaucoup sont issus de zones rurales du Rif, des provinces de Tiznit et du Sous. Il s’agit majoritairement de personnes avec un faible niveau de formation, voire analphabètes. Les hommes travaillent dans la mine ou la sidérurgie, dans la région de Charleroi ou à Liège.

Dans les années 60-70, de nombreux travailleurs maghrébins arrivent notamment à Ottignies et dans les communes avoisinantes (Court-Saint-Etienne) pour travailler dans les usines Henricot entre autres. Peu à peu, leurs familles les ont rejoints dans le cadre du regroupement familial.

Ce qui a alors été mis en place en matière d’intégration n’a en tout cas pas touché les femmes, qui restent à la maison pour s’occuper des enfants et du ménage (comme le font d’ailleurs encore beaucoup de femmes belges à l’époque).

Parcours d’intégration

En 2014, nous célèbrerons donc les 50 ans des accords d’immigration entre la Belgique et le Maroc. 50 ans après se met justement en place un projet de Parcours d’intégration citoyenne (1) destiné aux personnes primo-arrivantes, dans le cadre du nouveau décret « Intégration ».

Génération Espoir, association installée à Ottignies, a eu l’occasion de tester ce Parcours d’intégration citoyenne qui sera bientôt instauré par la Région wallonne. Ce parcours sera proposé aux personnes primo-arrivantes, à côté d’un bilan linguistique et professionnel. Par primo-arrivants, il faut entendre des personnes arrivées en Belgique depuis plus de trois mois et moins de trois ans et venant d’un pays hors Communauté Européenne et hors pays industrialisés, autrement dit principalement les pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie, d’Amérique latine. Actuellement, le programme nécessite, pour être compris, un minimum de connaissance du français. Des versions adaptées aux personnes n’ayant aucune connaissance de la langue seront bientôt disponibles.

Ce programme s’avère très intéressant pour les personnes qui l’ont suivi et leur permet d’acquérir une meilleure compréhension des contextes belges tant au niveau culturel que politique, social, économique ou de la vie quotidienne.

Cependant, on peut émettre une réserve quant au public visé. Se limiter aux primo- arrivants, n’est-ce pas considérer que les personnes qui vivent chez nous depuis plus de trois ans sont forcément « intégrées » puisque sur le territoire depuis plusieurs années, parfois plusieurs dizaines d’années, certaines ayant par ailleurs obtenu la nationalité belge ?

Femmes âgées et isolées

Or, il existe en Belgique une quantité considérable de personnes immigrées présentes depuis plus de trois ans, ne parlant pas ou peu le français et ne connaissant pas grand-chose du contexte belge. Le parcours mis en place par la Région wallonne ne les concerne pas. Parmi ces personnes, Génération Espoir s’intéresse en particulier aux femmes âgées maghrébines. Pour celles-ci, les enjeux sont importants : elles ont 70, 80 ans, voire plus. Elles ont besoin de se débrouiller seules suite, par exemple, au décès de leur mari. Il leur faut donc apprendre les bases du français, mais aussi comprendre le contexte et le fonctionnement de la Belgique.

En effet, si les hommes peuvent prétendre être plus ou moins « intégrés » à la société et avoir une vie sociale (de par leur travail passé, leur apprentissage minimum du français, leurs contacts avec l’extérieur), les femmes se trouvent dans une situation particulière d’isolement, de manque d’autonomie et de dépendance, notamment à cause de leur manque de connaissance de la langue française. Cantonnées dans les tâches ménagères et l’éducation de leurs enfants pendant de nombreuses années, elles n’ont jamais eu l’occasion d’apprendre le français ni de s’intégrer dans la vie quotidienne de leurs concitoyens.

Cette difficulté les empêche d’avoir accès facilement aux services généralement proposés aux personnes âgées, que ce soit par le monde associatif ou par les services communaux, et les empêche également de pouvoir se débrouiller seules dans la vie quotidienne : prendre un rendez-vous chez le médecin, se rendre à la consultation ou à l’hôpital, payer une facture, aller à la banque, à la mutuelle ou à l’administration communale, etc. Pour toutes ces tâches, elles sont donc dépendantes soit de leur mari s’il est encore en vie, soit de leurs enfants. On peut affirmer que ces femmes sont devenues invisibles pour les autorités publiques : femmes au foyer, elles n’ont aucun revenu, ne réclament rien, ne se font pas entendre, restent isolées chez elles …

Génération espoir

Face à ces constats, l’association Génération Espoir a voulu agir. Cette association est née en 1999 de l’initiative de personnes d’origine maghrébine. Elle voulait d’emblée œuvrer à l’intégration des personnes d’origine immigrée et développer des rencontres interculturelles. De maghrébine à ses débuts, l’équipe de Génération Espoir est aujourd’hui devenue multiculturelle.

Tout a commencé par une école de devoirs et l’organisation de conférences. Depuis, les projets se sont multipliés et s’articulent autour de trois grands axes :
- intégration et citoyenneté : cours d’alphabétisation et de français langue étrangère (FLE) ; formation à la citoyenneté ; accueil et orientation personnalisée en fonction des demandes.
- parentalité et scolarité : école de devoirs, conseil des jeunes, atelier parentalité « parents d’ici, parents d’ailleurs », accompagnement personnalisé à la demande.
- interculturalité et vivre-ensemble : groupe interculturel d’échange et de formation, projet Divers-Cité (événement annuel, rencontre-débat autour du vivre ensemble)

Les projets d’intégration visent essentiellement les femmes et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, comme évoqué plus haut, l’association veut pallier la non-prise en compte des femmes de première génération dans les politiques d’intégration précédentes ainsi que briser l’isolement social qu’elles subissent du fait de la méconnaissance de la langue. En effet, certaines de ces femmes, une fois les enfants partis et le mari éventuellement décédé, sombrent dans la dépression, avec un sentiment d’isolement et d’inutilité.

Français oral et lien social

Ensuite, en ce qui concerne les cours d’alpha et de FLE, les femmes touchées par l’association n’entrent pas dans les programmes proposés par d’autres structures, comme Lire et Ecrire. En effet, pour des raisons culturelles, certaines d’entre elles ne sont pas encore prêtes à participer à des groupes où la mixité est de rigueur. Par ailleurs, pour des raisons d’organisation familiale, elles ne peuvent suivre des cours qui se donnent chaque jour de la semaine à temps plein. D’autre part, la plupart des programmes d’alphabétisation visent l’insertion socioprofessionnelle, ce qui ne correspond pas à l’objectif premier de ce public.

Enfin, viser les femmes, et notamment les mamans, permet d’avoir une action à long terme : en effet, les formations suivies leur permettent de mieux suivre leurs enfants, de se situer dans la société belge et de se débrouiller de manière autonome, de faire des expériences positives au contact de la population belge, et à partir de là, c’est en tout cas ce qui est souhaité, éviter la transmission d’un repli communautariste.

Pour ce qui est des femmes âgées de première génération, les animatrices de Génération Espoir constatent que celles qui fréquentent les cours d’alphabétisation ont d’énormes difficultés à acquérir de nouvelles connaissances : problèmes de mémoire, de santé. Pour elles, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture se fait difficilement ; c’est pourquoi l’apprentissage du français oral est privilégié et se fait à leur rythme. L’objectif visé par l’organisation de ce cours est avant tout de briser leur isolement et d’améliorer leurs conditions de vie.

L’idée a alors germé de proposer un autre type d’approche, celui des relations humaines, intergénérationnelles en particulier. L’objectif n’est plus seulement de les alphabétiser afin de pouvoir effectuer les tâches les plus courantes de la vie quotidienne (utiliser une carte bancaire, envoyer un courrier, utiliser un calendrier, lire l’heure, prendre rendez- vous chez le médecin, …) mais également de briser la solitude et/ou l’isolement dans lesquels elles se trouvent.

Pour ces personnes, Génération Espoir va mettre en place un atelier de rencontre intergénérationnelle et interculturelle. L’atelier s’appelle « Thé ou café » : il prendra la forme de petits déjeuners de partage et d’information sur le bien-être, avec des invités, comme un médecin pour une information sur la santé, une kiné pour des exercices de gymnastique… Les personnes âgées auront aussi l’occasion de s’essayer à la peinture, au tissage…

En venant au cours d’alpha ou de français langue étrangère, les femmes se construisent un réseau d’amies et de soutien. Chacune prend des nouvelles de l’autre et veille à sa participation. Elles profitent également de l’expérience des plus anciennes qui les motivent à apprendre pour ne pas commettre les mêmes fautes qu’elles. Cela a un effet boule de neige car ces femmes sensibilisent également à leur tour d’autres femmes, âgées ou jeunes. Des moments de discussion sont prévus, en français pendant le cours ou en arabe pendant la pause pour permettre à chacune de prendre des nouvelles de l’autre, de sa famille, de ses dernières activités, des soucis du quotidien et des solutions trouvées ou à trouver.

Cependant, il reste important, pour les associations de quartier, d’entrer en contact avec ces femmes et de leur proposer d’apprendre le français, un premier pas indispensable vers leur autonomie et leur épanouissement dans la société belge.
Il serait utile que les autorités régionales en charge de l’intégration sociale tiennent compte de la réalité de ces personnes âgées immigrées, afin qu’elles puissent vieillir dans la dignité et le respect.

Aïcha Adahman
Analyse publiée en septembre 2013 par Vivre Ensemble Education

(1) Voir sur le portail de la Wallonie

En savoir plus :
Génération Espoir: www.generationespoir.be

2 commentaires sur “Femmes âgées, immigrées, ignorées…”

  1. Céline dit :

    Merci de prendre directement contact avec l’association Génération Espoir: http://www.generationespoir.be

  2. csc averroes tourcoing dit :

    Nous menons des actions similaires aux vôtres. Nos objectifs se rapprochent. nous aimerions apprendre de votre façon de travailler et vous exposer ce qu,e nous faisons.
    croiser des événements serait i.nteressant. est il possible de nous contacter par messagerie ou tel 06 99 24 35 24
    merci