Pour nous expliquer davantage les principes de cette « Pédagogie Nouvelle », nous sommes allés à la rencontre de Henry Landroit, instituteur « Freinet » pensionné et toujours aussi passionné, membre actif dans le mouvement Freinet belge francophone.
Comment fonctionne la gestion participative en pédagogie Freinet ?
En pédagogie Freinet, on instaure comme mode de fonctionnement la coopération plutôt que la compétition. Un conseil de classe est instauré pour gérer tous les problèmes qui peuvent se poser. Une fois ou deux par semaine, les enfants se réunissent avec l’enseignant pour établir les projets de la classe et les évaluer. Mais aussi pour analyser le relationnel, ce qui se passe entre nous, pourquoi un tel et un tel sont toujours seuls dans leurs coins, etc.? Le conseil donne le pouvoir aux enfants. Le rôle de l’enseignant est d’être le garant : si le conseil veut repeindre toutes les chaises en rouge, l’enseignant peut expliquer que ce n’est pas de son ressort. Les chaises appartiennent à une administration. Il faut au moins leur demander leur avis. Mais s’il s’agit de disposer les chaises autrement, ça c’est de notre ressort. Cela permet donc aussi une prise de conscience progressive de toutes les contraintes et éventuellement de les critiquer.
Est-ce que la formation actuelle des enseignants intègre la pédagogie Freinet ?
Non. Un futur enseignant peut très bien avoir passé toute sa formation sans avoir jamais entendu parler de Célestin Freinet. Un enseignant qui voudrait travailler avec cette pédagogie dans sa classe, seul, sans jamais en parler à d’autres, risque au bout d’un temps d’être déçu, fatigué, d’abandonner parce qu’il n’a plus de ressources. La coopération avec d’autres aide énormément.
Pourquoi mettre en place cette pédagogie au niveau du primaire ?
Si on désire que les enfants cherchent la coopération plutôt que la compétition, on doit lutter contre un bulldozer extérieur (télévision, radio, publicité). Il vaut mieux commencer très tôt à mettre en place des façons de faire et de vivre la démocratie participative.
En quoi les écoles Freinet sont-elles si différentes des autres, qui ont toutes comme vocation de former des citoyens responsables ?
Oui, c’est ce qu’on voit dans tous les projets pédagogiques des écoles. Mais c’est sur le « comment » qu’il faut voir ça. Si l’enfant ne vit pas des situations « citoyennes » dans la classe avec ses camarades et avec l’enseignant, il ne les développera pas plus tard comme modèle de comportement. Ce qui nous différencie du discours ambiant à ce sujet c’est qu’on a vraiment créé et mis en place les outils adéquats.
L’objectif est de créer des enfants autonomes qui peuvent se passer de nous. Un « enseignant Freinet » y travaille constamment. C’est un travail permanent, très lourd et très difficile. C’est ce que les autres collègues ne comprennent pas car leur idée de l’enfant est celle de l’« Infant » celui qui doit être éduqué, informé, à qui on doit déverser des connaissances. C’est encore et toujours la tête bien pleine plutôt que la tête bien faite. Il ne suffit pas de mettre l’enfant en activité, mais bien de savoir dans quel but.
Quelles sont les difficultés rencontrées pour mettre en place cette démocratie participative ?
Il y a beaucoup de difficultés liées à la peur et à la méconnaissance du système. On a eu énormément de problèmes, des conflits, des scissions. Il faut s’attendre à ça quand on donne la parole à tout le monde. Mais différents outils créés notamment par la pédagogie institutionnelle sont utilisés pour dépasser ces difficultés.
Selon vous, quels sont les liens entre cet apprentissage et la gestion participative en démocratie directe en entreprise ?
Une première constatation c’est qu’à partir d’un certain moment, les patrons étaient intéressés par cette façon de faire et ont commencé à mettre en place dans leur entreprise des choses qui avaient l’air de ressembler à ce que nous faisions. Mais ce n’était pas dans le même but. C’était pour que l’entreprise soit plus florissante… il y avait donc une ambiguïté. Mais personnellement, je suis persuadé que la pédagogie Freinet n’est pas réservée aux enfants. Elle va très bien avec les adultes aussi. On a eu des expériences, plus en France qu’en Belgique, de gens qui ont introduit la pédagogie Freinet dans le milieu adulte. On ne pratique pas la pédagogie Freinet avec des enfants parce que ce sont des enfants mais parce que ce sont de futurs « citoyens ».
Propos recueillis par Benoit Naveau et Anne-Sophie Reynders
Article publié dans le journal Terre n°140 (printemps 2013), édité par le groupe Terre
(1) L’Éducation Nouvelle : une réelle alternative pour sortir l’État de la crise, Pascale Lassablière, Réseau-nances, La revue périodique de Culture et Développement, décembre 2012.
Web :
• www.educpop-freinet.be
• www.gben.be – Groupe Belge d’Éducation Nouvelle
À lire :
• Agir dans l’école pour une autre société – Des activités émancipatrices pour une école plus humaine, Léonard Guillaume et Jean-François Manil, Chronique sociale, Lyon, collection Pédagogie formation, 2011.
• Penser la société à travers l’école – Pour une école plus humaine, Léonard Guillaume et Jean-François Manil, Chronique sociale, Lyon, collection Pédagogie formation, 2011.
Bonjour,
Je me permets de vous signaler nos ouvrages susceptibles de compléter votre bibliographie : « S »engager dans la pédagogie Freinet » et « La danseuse sur un fil. Une vie d’école Freinet » (uniquement disponibles sous forme numérique, ici : http://ecole-vivante.com/pedagogie-freinet.html