Ces dernières années on a eu l’habitude d’entendre parler des sacs. Du sac en plastique peu écologique, on est passé au sac dit écologique. Beaucoup de bruits pour rien ? Probablement. Et pourtant, il est un sac dont on a peu entendu parler : le sac à lire. De quoi s’agit-il ? « Les sacs à lire sont des outils pertinents pour introduire les livres dans les familles dont les parents sont illettrés ou analphabètes, pour stimuler des pratiques de lecture et développer les compétences linguistiques. En bref, on introduit le livre là où il est absent », explique Agnès DERYNCK, directrice du Groupe d’Animation et de Formation pour Femmes Immigrées (Gaffi) à Bruxelles. « Concrètement, ces sacs rassemblent un ouvrage illustré destiné aux jeunes enfants et des outils didactiques sous forme de jeux ludiques et pédagogiques en lien avec l’histoire racontée ».
Par ce projet, trois objectifs sont poursuivis : premièrement, il s’agit de « donner les moyens aux femmes peu ou pas scolarisées, qui par ailleurs sont engagées dans une démarche d’alphabétisation, de développer des pratiques régulières de lecture avec leur(s) enfant(s) par l’utilisation des sacs à lire » ; deuxièmement de « leur permettre de vivre des moments épanouissants avec leur(s) jeune(s) enfant(s) stimulant la motivation, la curiosité, le plaisir dans les apprentissages à partir d’activités à la fois pédagogiques et ludiques » ; enfin, de « favoriser les apprentissages et renforcer les compétences linguistiques tant des mamans que des enfants. »
Si le Gaffi n’a rien inventé : les sacs à lire existent déjà en Flandre, aux Pays-Bas et en Angleterre (où ils sont même commercialisés), il a eu le mérite de lancer le projet en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Un sac créé par les femmes pour les femmes
Tout commence en 2009. Cette année-là, la directrice du Gaffi, une ASBL im-plantée depuis 1978 dans le quartier Brabant-Nord de Bruxelles à deux pas de la gare, rend visite à une maman qui venait au cours d’alpha pendant que ces en-fants étaient à la crèche. « Je me souviens du jour où je lui ai rendu visite, dit-elle, elle venait d’accoucher de son dernier enfant et, touchée par une dépression postnatale, elle ne venait plus au cours. J’avais donc décidé de faire un domicile et d’apporter des livres. Ici, au cours d’alpha, elle avait appris la langue très vite. Quand je suis arrivée chez elle, son mari m’a expliqué qu’elle n’avait plus parlé depuis des mois. Mais, lorsqu’elle a reçu les livres, elle s’est mise à lire. Ses en-fants sont venus à ses côtés pour l’écouter : elle lisait ! Ce moment m’a fait penser qu’il fallait faire quelque chose autour du livre. » C’est ainsi que démarre le projet des sacs à lire avec des mamans. Le Gaffi ne devra pas aller très loin pour trouver les partenaires avec lesquels ils pourront lancer ce projet : crèche et école maternelle situées dans la même rue de ce quartier de Bruxelles s’engagent. Un groupe de 16 femmes inscrites dans le programme du cours d’alphabétisation du Gaffi, dont beaucoup étaient aussi des mères de jeunes enfants inscrits à la crèche ou à l’école, se mettent au travail autour des sacs à lire. Il y a des moments de découverte des livres, des temps de préparation à la lecture des livres, mais aussi des ateliers couture afin de créer les objets en tissus qui accompagnent le livre dans le sac. Le Gaffi utilise l’outil pour aider ces femmes dans leur parcours d’apprentissage de la langue, mais, très vite, les sacs sont utilisés par les enseignantes de l’école toute proche.
« Lorsque j’ai participé au projet, explique Christine, institutrice en 3e maternelle à l’école Sainte-Marie Fraternité, j’avais un sac en classe. Du coup, le matin, les mamans qui déposaient leurs enfants pouvaient rester en classe. On lisait alors le livre ensemble et j’expliquais aux mamans qu’elles pouvaient aller en chercher d’autres au Gaffi. » De son côté, Leïla, institutrice en première année maternelle dans la même école, proposait aux mamans d’accompagner la classe pendant les heures de cours au Gaffi afin de choisir un sac à lire et de l’emporter ensuite à la maison.
Mais de quoi parlent ces livres ? « Les livres sont petits et racontent des histoires en lien avec les origines des femmes. Ils ne sont pas trop compliqués, car elles apprennent aussi souvent à lire. Par exemple, dans le sac “Le doudou de Siyabou”, on trouve : le livre, une poupée Siyabou, un crocodile, un singe, un perroquet, un éléphant, une poule, un doudou, et, enfin, un carnet pour les parents. » Si les institutrices jugent difficile d’évaluer les réactions des enfants face aux sacs à lire, elles expliquent que certaines mamans parlent désormais de la lecture comme d’une « habitude familiale ».
Quant aux problèmes liés à la perte ou au non-retour d’une partie du sac à lire, le Gaffi est d’avis que ces difficultés pratiques ne doivent pas empêcher les mamans d’en emprunter, « le projet dé-passe aussi les sacs à lire, car après on discute, on se rencontre, on fait des après-midis parents/enfants, on va au théâtre. »
La vie à la crèche expliquée
Le projet des sacs à lire ne s’est pas limité à créer des sacs qui racontent des histoires pour les enfants. Leila, institutrice en maternelle : « Le sac à lire permettait d’entrer en contact avec les mamans. En classe d’accueil, on accorde beaucoup d’importance au contact. Ces mamans débarquent de Turquie ou d’Afrique. Souvent, elles n’ont jamais mis les pieds dans une école. » Comme l’explique la directrice du Gaffi : « La première année on a proposé aux femmes d’écrire des contes pour les enfants. Ce fut un échec pour le projet des sacs à lire : les femmes ont écrit des textes très forts, des textes qui racontaient certains moments difficiles de leurs vies, mais que l’on ne pouvait utiliser pour les sacs à lire. »
Il faudra attendre la deuxième année pour qu’un travail de collaboration entre les puéricultrices de la crèche et les parents en Alpha permettent la création d’un livre qui décrit la vie à la crèche. L’outil, réalisé avec l’aide d’un graphiste, d’une photographe et des mamans permettait à ces dernières de réaliser ce qui se passe lorsqu’elles ont déposé leur enfant à la crèche et que la porte se referme. « En fait les discussions pour y arriver étaient tout aussi importantes… L’année suivante on a fait un outil en maternelle. Cela a créé des liens avec les institutrices, sinon ce n’est pas facile. Notre prochain projet serait de produire un livre sur la boite à tartine, mais faute de moyens… » Une réalité financière qui n’empêchera pas le projet des sacs à lire de continuer. « Cette année on a décidé de changer de méthode, explique Leila, l’objectif est de mettre en place des moments, à l’école, où les mamans lisent aux enfants. Du coup, j’ai demandé à une maman de venir avec un sac dans les classes, elle va raconter l’histoire. Puis le sac restera en classe et les élèves pourront jouer avec les objets. »
David D’Hondt
Article publié dans TRACeS de ChanGements n°215 – mars/avril 2014
Descriptif du projet sur le site du GAFFI : www.gaffi.be