Libre-échange : quels sont les enjeux ?Clés pour comprendre

27 mai 2014

Entre 1995 et 1997, les 29 États membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) avaient entrepris en secret la négociation d’un accord multilatéral sur l’investissement (AMI) qui consacrait le droit des entreprises multinationales sur celui des peuples. Aujourd’hui, cet accord avorté revient sous une nouvelle forme non moins néfaste : le traité transatlantique. Reste à savoir si la mobilisation ayant permis de contrer l’AMI il y a 20 ans peut à nouveau se réveiller !

« Le bien-être passe par la croissance, et la croissance par le commerce, donc tout au commerce » ! Ce discours simplificateur est vécu comme une véritable prophétie par nombre de responsables du monde politique prêts à négliger certaines normes socio-environnementales pour atteindre ce bel idéal. Dans notre monde globalisé où la logique concurrentielle règne en maître, c’est à qui fera l’alliance commerciale la plus stratégique pour dynamiser son économie. C’est ainsi que près de 200 accords commerciaux bilatéraux et régionaux sont entrés en vigueur depuis 1999 (1), la plupart étant des accords de libre-échange Nord-Sud (2) où la raison du plus fort s’impose souvent au détriment du respect des droits les plus fondamentaux.

Le traité transatlantique

À l’heure actuelle, c’est l’accord de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) qui est sur la table des négociations. Union européenne et États-Unis entreprennent un rapprochement discret qui pourrait bien engendrer de nombreuses conséquences sur les standards de vie européens. Le traité « procéderait au démantèlement de tous les obstacles au commerce des services (3) et à tous les tarifs douaniers sur les produits. Les barrières techniques et non tarifaires seraient également éliminées à travers l’harmonisation et la reconnaissance mutuelle des normes et des réglementations. Les marchés publics, la propriété intellectuelle et l’investissement seraient intégralement libéralisés » (4).

Concrètement, le traité permettrait à des entreprises privées de concurrencer nos services publics en matière de santé et d’éducation notamment. Cette logique privée purement marchande pourrait bien engendrer une dégradation de la qualité des services, des soins et des conditions de travail comme on le voit dans les hôpitaux privés de Grande-Bretagne, indique un rapport officiel (5). Même affaire pour l’éducation qui verrait bientôt fleurir des universités privées indépendantes du contrôle des États et probablement étrangères au développement de l’esprit critique qui nous est cher.

Alors pourquoi conforter davantage un partenariat entre ces deux géants économiques tandis que les taxes douanières (6) avoisinent déjà les 4% en moyenne et que l’ampleur des échanges annuels dépasse les 600 milliards de dollars pour les seuls produits ?

Officiellement, pour favoriser la croissance et l’emploi, officieusement, pour consacrer la suprématie des entreprises privées sur les États, le tout inféodé au libéralisme dérégulé. Car la ratification de ce traité supposerait surtout l’élimination des barrières non tarifaires existantes, c’est-à-dire de la plupart des normes et des réglementations à l’arrivée des produits américains sur le marché européen. Autrement dit, la disparition des mesures de protection sociales, environnementales et sanitaires qui contreviendraient à la liberté de marché voulue par des entreprises avides de profit. Produits OGM, bœuf aux hormones, porc gonflé à la ractopamine… pourraient alors peupler nos supermarchés.

Avec en prime, le privilège pour ces entreprises de porter plainte en cas de résistance d’un État à leurs bénéfices potentiels dans des tribunaux spécialement créés pour arbitrer ce genre de litiges. Plus encore, un Conseil de coopération réglementaire composé de hauts fonctionnaires européens et américains serait chargé d’évaluer si les lois des gouvernements nationaux ne coûtent pas trop cher aux entreprises et auquel cas de les recaler. Un avenir où le libre-échange institutionnalisé imprégnerait toutes les politiques publiques ne leur concédant que quelques miettes de souveraineté.

Les pierres d’achoppement

Les négociations autour du traité ont débuté en juillet 2013 pour une durée de deux ans. La partie se joue au niveau européen mais les différents parlements des États membres ont aussi leur mot à dire.

Emploi

Le traité transatlantique nous promet plus d’emplois grâce à une croissance stimulée. La Commission européenne parle de plus de 0,5% de croissance du PIB tandis que les estimations du Centre européen d’économie politique internationale avancent le chiffre de 0,06% de hausse du PIB (7). Le cas de l’accord de libre-échange nord américain (ALENA), entré en vigueur en 1994 peut apporter un éclairage. Perte de près d’un million d’emplois aux États-Unis, diminution de plus d’un million et demi d’exploitations agricoles au Mexique, conditions de travail déplorables dans les maquiladoras (8)… Le traité n’a pas tenu toutes ses promesses.

Arbitrage investisseurs/États

Comme dit plus haut, le traité inclut la création d’un tribunal privé grâce auquel les entreprises pourraient attaquer les lois des États qui entravent leur profit et exiger de leur part des compensations financières (aux frais du contribuable). Il s’agit du RDIE, le système de règlement des différends investisseurs-États qui existe déjà dans de nombreux traités internationaux. Des procès de ce type ont en effet déjà eu lieu. Par exemple, en 2012, la compagnie d’énergie nucléaire suédoise Vattenfall a fait une demande d’arbitrage après que l’Allemagne ait annoncé sa sortie du nucléaire.

Les États, par contre, n’auraient pas le droit de poursuivre les entreprises. On dénombre 514 différends investisseurs-États dans le monde en 2012 dont 31% des jugements ont été favorables aux premiers (9).

Environnement

Le 12 mars, Karel De Gucht, commissaire européen au commerce, a annoncé en Commission de la Chambre que l’exploration de gaz de schiste (ou fracking) ferait partie du mandat des négociations sur l’accord de libre-échange avec les États-Unis. Si l’UE entendait respecter l’objectif de réduction de 80 à 95% des émissions de gaz à effets de serre fixé par le GIEC (10) à l’horizon de 2050, elle devrait déjà réduire ceux-ci de 55 à 60% pour 2030 et s’orienter largement vers les énergies renouvelables. Pourtant, les parlementaires européens ont voté en février dernier tous ces objectifs à la baisse, se limitant à 40%. Comment, dans ce contexte, est-il possible de concilier la volonté de croissance du commerce international et l’atteinte d’objectifs environnementaux nécessaires ? N’y a-t-il pas un risque de voir émerger de fausses solutions comme celle du gaz de schiste, représentant à la fois un danger pour l’environnement et les populations (11) ?

Non au fatalisme !

Une brochure et une capsule vidéo proposée par la Centrale nationale des employés (CNE) pour mieux comprendre ce qu’est le traité transatlantique : www.cne-gnc.be

Les différents éléments évoqués plus haut ont des raisons d’inquiéter le citoyen informé. Tout comme il y a 20 ans avec l’AMI et malgré le caractère opaque des négociations actuelles, ce traité transatlantique n’est pas une fatalité. Pour cela, nous devons comprendre qu’octroyer davantage de pouvoir aux grands groupes industriels et financiers ne servira pas l’intérêt des citoyens. Les reprises timides de la croissance que l’on observe dans différents pays ne profitent jamais qu’à quelques privilégiés. Néanmoins, le mérite des discussions sur cet accord est de créer le débat sociétal et de nous renvoyer à notre rôle citoyen. Alors un mot d’ordre est de mise : « Citoyens, gardez l’œil ouvert, restez critiques, et ne vous laissez pas embobiner ! ».

Géraldine Duquenne
Analyse (extraits) de Justice et Paix – Lire l’intégralité de l’article sur www.justicepaix.be

(1) Zacharie Arnaud, « Les accords commerciaux bilatéraux et régionaux : la raison du plus fort ? », http://www.cncd.be/IMG/pdf/cahier_08.pdf
(2) Le libre-échange Nord-Sud signifie qu’un accord de type commercial est conclu entre un pays « riche » du Nord et un pays dit « en développement » du Sud.
(3) Il s’agit d’un projet de marchandisation des services publics (santé, éducation, services sociaux…) qui renforceraient les tendances à la privatisation et à la commercialisation de ceux-ci.
(4) http://www.mediapart.fr/journal/economie/190213/le-retour-d-un-zombie-l-accord-de-libre-echange-transatlantique
(5) CNE, « Le traité transatlantique : le comprendre pour le couler », http://www.cne-gnc.be/cmsfiles/file/A/CNE/PUBLICATIONS/THEMATIQUES/TTIPp.pdf
(6) Il s’agit d’un impôt prélevé sur une marchandise importée lors de son passage à la frontière. Les droits de douane s’élèvent en moyenne à 5,2% pour les biens à destination de l’UE et à 3,5% pour les biens à destination des États-Unis.
(7) M. WALLACH Lori, « Le traité transatlantique, un typhon qui menace les européens », http://www.monde-diplomatique.fr/2013/11/WALLACH/49803
(8) Ce terme désigne les usines de montage situées à la frontière entre le Mexique et les États-Unis où sont produits à bas prix des biens de différents secteurs comme le textile, la chimie et agrochimie, l’électronique et les automobiles.
(9) CNE, « Le traité transatlantique : le comprendre pour le couler », http://www.cne-gnc.be/cmsfiles/file/A/CNE/PUBLICATIONS/THEMATIQUES/TTIPp.pdf
(10) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
(11) Chaque puits d’extraction nécessite entre 4 et 30 millions de litres d’eau et de 80 à 300 tonnes de produits chimiques cancérigènes, comme le benzène, le toluène, l’éthylbenzène ou le xylène.

Un commentaire sur “Libre-échange : quels sont les enjeux ?”

  1. [...] pour en savoir plus sur le TTIP, lisez l’encadré ci-contre, ou l’article Libre-échange : quels sont les enjeux? sur Mondequibouge.be. Rendez-vous aussi sur le site de la CNE qui propose un outil vidéo pour [...]