Avant de commencer sa journée de travail à la Sonaca, Giovanni arrache des stolons de fraisiers sur sa parcelle du jardin partagé de Châtelet : « J’ai une serre chez moi, mais je viens ici pour rencontrer d’autres personnes. Parfois, on reste le soir et on discute… » Jacques, pensionné et jardinier de la première heure, s’approche. Il vient prodiguer quelques conseils sur la culture des fraises – « comme tu ne les cueillais pas, je les ai goutées, délicieuses » – et s’assurer que Giovanni a bien reçu les plants de courgettes qu’il avait déposés sur le sol. Un peu plus loin, Jean-Sébastien, animateur de la plaine de jeux voisine, observe une marre avec un groupe de jeunes.
On est ici dans le jardin partagé de Châtelet, à l’entrée du parc communal de la ville. Un oasis écologique bordé au nord d’une cité de logements sociaux, et au sud d’un vieux terrain de foot. «Le PlandeCohésionSociale(PCS)alancélejardinen2011.Au départ, on s’est fait conseiller méthodologiquement par l’asbl Espace Environnement (voir adresses utiles p.28), car on n’avait aucune connaissance », explique Charlotte Decallonne, qui coordonne le projet pour le PCS. « Ça s’est développé de façon incroyable. On est là pour accompagner, mais les gens sont au cœur. On vise l’autonomie, du jardin et des gens », souligne son responsable Jean-François Devos. Yann Pani, éducateur en charge du jardin, abonde dans le même sens : « Tout tourne en quasi autonomie, même si ce n’est pas toujours rose. On aimerait qu’il n’y ait plus d’animateur, pour développer ça ailleurs, mais je dois encore être présent de temps à autre pour la dynamique de groupe et le rappel de certaines règles reprises dans la charte de fonctionnement… »
Parcelles individuelles ou collectives ?
Au fil du temps et des demandes croissantes, le nombre de parcelles a augmenté. Il y en a aujourd’hui 37, pour la plupart individuelles ou familiales, excepté celles gérées par des organismes partenaires : le centre coordonné de l’enfance, un centre d’accueil psychiatrique et la Régie de Quartier de Châtelet. « Dans le cadre de notre accompagnement à l’insertion socioprofessionnelle, une dizaine de stagiaires participent à ce projet, expliquent Candice Frères et Sergio Bascaino, de la Régie de Quartier. Notre objectif est de partir de là pour travailler plusieurs dimensions : santé, solidarité, création de liens, participation à la vie du quartier… Mais il y a aussi le concret : on cultive et on mange des légumes du potager, sans produits chimiques, on cuisine de saison. Et parfois, ça crée des vocations, comme Cathy, qui a découvert le jardin il y a 2 ans et y cultive maintenant, tous les jours, sa propre parcelle ». Sergio propose néanmoins quelques pistes d’amélioration : « Il faudrait peut- être plus de réunions formelles entre les jardiniers, ou mettre en place un achat groupé de graines. Mais comme la volonté est de réduire l’implication de l’animateur, c’est moins facile. »
Une parcelle est aussi réservée pour les enfants, et une autre aux potirons, pour la fête d’halloween organisée chaque année au jardin. « Au départ, on a essayé de mettre en place une parcelle collective. Mais ça a généré des tensions, car certains travaillaient beaucoup et ne récoltaient pas le fruit de leur labeur, raconte Charlotte Decallonne. Ceci dit, les liens se tissent tout autant avec les parcelles individuelles ». C’est vrai, on le sent, au jardin
partagé on ne cultive pas que les légumes, mais aussi la convivialité. Ici se rencontrent et échangent des individus de tous âges, de toutes cultures et situations sociales.
Une fierté partagée
« Les jardiniers ont aussi visité d’autres jardins partagés. Maintenant, ils préfèrent que d’autres viennent voir le leur », souligne Charlotte Decallonne. Il faut dire que l’espace vaut le coup d’œil. Des parcelles coquettes, colorées de fleurs sauvages, ornées d’objets de déco ou d’hôtels à insectes… « Chacun y met du sien pour que le potager soit plus beau » raconte la jeune Cathy, qui chouchoute cet espace collectif au quotidien. Aujourd’hui, elle est venue planter des salades avec quelques enfants des logements sociaux adjacents : « On est voisin. Dès que je viens, ils me demandent. Ils n’ont pas de jardin et s’ennuient, alors je les prends avec moi ». Parfois, elle installe même une piscine, en été. Ce jardin, c’est à la fois sa passion, une fierté, une école de vie et une échappatoire : « Ce que j’aime, c’est le fait d’être dehors, le besoin de nature, de respirer, de s’occuper et voir du monde. Le jardin est devenu ma passion. Sinon je suis toute seule chez moi avec ma fille et mon homme, je ne travaille pas et on n’a pas de jardin. »
Maurice vient saluer la petite troupe de jardiniers attablée sous un arbre : « Ici, on échange des idées, on rencontre des jardiniers plus jeunes et on essaie de leur donner nos connaissances, on apprend des erreurs et des réussites des autres… Comme on dit :“c’est partagé”, c’est ça le but. »
Christophe Dubois
Article publié dans le dossier Cultiver en ville du magazine Symbioses (n°103, été 2014)
PCS de Chatelet – 071 38 15 72 – charlotte.pcschatelet(at)gmail.com