Ou qu’ils passent à côté de l’objectif principal, et même parfois, que l’activité risque d’engendrer le comportement inverse à celui désiré. Il est difficile de contredire ces activités jugées « pédagogiquement correctes » puisque les concepteurs ou animateurs ont l’impression d’avoir fait ce qu’il fallait.
« Des petits gestes pour ne pas trop changer » (1)
Comme exemple d’activité rencontrée, il y a le tri des déchets. Ainsi, à partir de l’histoire des « Tritoubiens » (2), les élèves sont invités, par les extraterrestres de la planète Trietou, à installer plusieurs poubelles dans les classes et placer les déchets dans la bonne poubelle. Les enfants apprennent à exécuter les gestes et à reconnaitre les matières : verre, plastique, papier… Dans une autre classe, c’est l’économie de l’électricité (ou de l’eau) qui est ciblée. Les enfants ont réalisé une affiche pour rappeler d’éteindre la lumière quand on quitte le local ou de fermer le robinet, de mettre de l’eau dans un bassin pour laver les pinceaux plutôt que de la faire couler. Mes étudiants disent, à partir de leurs toutes neuves convictions en matière d’éducation à l’environnement, que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Ils disent aux enfants que ces petits gestes changeront le monde. Et hop, éducation citoyenne et éducation à l’environnement, c’est fait !
Pour moi, ces activités sont de l’éducation civique, au même titre qu’apprendre à saluer quand je rencontre quelqu’un… Il s’agit d’apprendre des règles établies qui se basent sur des principes de vie en société : politesse, nongaspillage, etc. Je n’empêche pas mes étudiants de réaliser ces activités. Tout au plus, je leur propose de les enrichir avec des objectifs liés aux apprentissages en éveil : faire du papier avec du papier pour comprendre la notion de recyclage, faire dégrader des produits organiques et d’autres pour différencier ce qui se décompose naturellement ou pas, découvrir les objets qui fonctionnent à l’électricité et ceux qui utilisent d’autres sources…
Mais surtout, je leur montre que pour qualifier cela d’éducation à la citoyenneté responsable, l’ambition doit être plus élevée, que plutôt qu’une application de règles on peut aussi tenter l’implication.
« Plutôt qu’une application de règles, tenter l’implication. »
Je préfère la conscience à la consigne
Cette maxime de Victor Hugo (3) qualifie bien ce qui différencie l’éducation à la citoyenneté responsable en matière d’environnement de la simple éducation civique. Pour « dépasser le cadre rassurant de l’écogeste prosaïque pour s’aventurer sur le chemin plus flou et plus poétique des hommes et des femmes qui repensent ce qui fonde leur bienvivre. Car “brandir le ‘sauvez la planète’ pour m’inciter à couvrir mes casseroles (ou éteindre les lumières, etc.), revient à transformer un problème politique en problème moral… Les écogestes font croire que la solution est, et sera, matérialiste”.». (1). Au-delà de ce type d’action, qui ne vise qu’un premier niveau de changement, il faudrait viser les changements qui modifient le fonctionnement et les règles du jeu du système. Ceux-là naissent d’une élévation de notre niveau de conscience.
Dire qu’il faut un petit geste pour résoudre le gros problème de l’énergie ou de la pollution est un peu naïf ; le faire croire aux enfants est une imposture dont ils ne sont pas dupes longtemps. Ce type de message est complètement contreproductif ; il créera vite un sentiment d’impuissance et de découragement. L’action consciente, quant à elle, est liée à la responsabilité. « Agir pour l’environnement exige dans un premier temps de se réapproprier sa part de responsabilité et d’en délimiter clairement les contours, pour la ramener à taille humaine, accessible et donc maitrisable. Car la responsabilité est simplement le fait d’avoir à répondre de ses actes, du pouvoir que l’on détient, des charges que l’on doit assumer, en tant que parent, professionnel, politique, chef d’entreprise, etc. Notre ‘part de responsabilité’ est donc proportionnelle à notre pouvoir d’action. » (3)
Donc, on garde l’idée de faire des gouttes, mais pas n’importe lesquelles et on n’envisage pas de faire l’océan. Pour amener les acteurs au rang d’une action consciente, les activités sur les déchets ou sur l’eau peuvent prendre une tout autre tournure. Et en deçà de l’ambition de sauver la planète, il s’agit d’imaginer ensemble des moyens pour répondre à des situations du milieu de vie proche, dans ce cas-ci, la classe. Dans l’éducation à la citoyenneté responsable, on peut envisager la « responsabilité » comme la capacité à créer des « réponses habiles » ou mieux, l’habilité à apporter des réponses.
Je propose donc à mes étudiants, au-delà de l’apprentissage du tri, d’associer les enfants à la recherche de solutions aux situations vécues dans le milieu proche. Par exemple, partir de : « Notre classe produit chaque jour trop de déchets non recyclés. » Après observation de la poubelle, c’est la collation qui est pointée : il y a plein de berlingots, il reste même du jus dedans, il y a des bouteilles en plastique et des emballages de biscuits, des collations non entamées sont jetées….
Analyse causale du problème identifié
On se pose ensuite la question des causes qui amènent cette situation. Il y a trop d’emballages autour des biscuits ; seulement trois enfants utilisent des gourdes ; dans la boite à tartines, le biscuit se mélange au jambon s’il n’est pas dans un emballage séparé ; je n’ai pas faim à 10 heures ; j’aime bien les pommes, mais il faut les éplucher ; on ne sait pas ce qui est mieux : le verre ou le tetrapak ?
On peut remonter aux causes des causes : on n’utilise pas les gourdes parce qu’elles coulent, les enfants ne savent pas toujours les fermer de manière étanche, c’est plus facile pour les mamans les collations toutes prêtes, on ne connait pas de collation non emballée, etc. On entoure ensuite sur le panneau réalisé les points sur lesquels les enfants peuvent agir, on délimite avec eux le champ de responsabilité et on envisage des activités d’apprentissage et des actions uniquement en lien avec ces cases-là.
Commence alors une activité très créative de recherche de solutions à notre échelle : apprendre à visser des gourdes, comprendre que le tetrapak n’est recyclable qu’une fois, contrairement au verre, acheter une bouteille de jus pour tous et décorer son propre verre réutilisable, boire l’eau du robinet, lever l’obligation de manger à la collation si on n’a pas faim, se procurer un épluche-pomme mécanique, essayer une collation sans déchet une fois par semaine… L’activité ponctuelle sur les déchets devient un projet de classe. Au-delà du recyclage, qui n’est qu’une partie de la solution, on s’intéresse aux causes du problème : nos habitudes de consommation. C’est plus sensible évidemment !
Mission : sauvez la planète !
Les enseignants et futurs enseignants de maternelles proposent aussi des activités de sensibilisation aux problèmes planétaires. Et les voilà partis d’une manière ou d’une autre, dans des histoires semi-fictives ou dans des explications simplifiées, à parler du réchauffement climatique, des abeilles qui disparaissent, de l’énergie qu’il n’y a plus… Leur idée est que plus on sensibilise jeune et mieux ça ira. Dans ces activités qui considèrent l’environnement d’emblée comme un problème, c’est le moyen de sensibiliser qui pose problème.
Lors des journées des assises de l’Éducation relative à l’Environnement (ErE) en octobre 2013 (4), les participants du secteur associatif ont été invités à identifier les différents facteurs qui, au cours de leur existence, ont forgé leur identité d’actrices et acteurs de l’ErE et d’en préciser l’élément déclencheur. On remarqua de grandes constantes d’un groupe à l’autre, en particulier la place prépondérante de l’éducation informelle (via la famille, les activités dans la nature). C’est l’ancrage personnel dans la nature qui a été exprimé comme un élément fondateur majeur.
Pour ma part, c’est la rencontre des tritons de la mare derrière chez moi, plus exactement les reflets bleu nuit de la crête et le contraste avec cet orange “flash” de l’abdomen chez le triton crêté en période nuptiale qui ont été à la base de mon intérêt, dès l’enfance, pour la nature. L’impact fut d’abord esthétique. Il faut bien sûr, en sus, un milieu aidant : à 8 ans, je pouvais aller pêcher les tritons dans l’étang, les garder quelques jours pour observation, installer terrarium et aquarium dans ma chambre.
La conscience environnementale a suivi naturellement plus tard. Comme nous l’expliquent les psychologues, l’esprit humain déteste les dissonances cognitives. C’est-à-dire la non-conformité entre fond (les valeurs) et forme (les actes). On peut miser sur la tendance aux comportements à se conformer aux raisons internes.
Pourquoi travaille-t-on alors à l’envers dans les classes ? Et si on arrêtait de culpabiliser ces enfants avec l’état de la planète ?
Je propose donc aux futurs enseignants, des idées d’activité pour susciter cette rencontre inédite, esthétique avec le milieu naturel. Et plutôt que d’inquiéter à propos de la disparition de la baleine, de sortir observer les grenouilles.
En conclusion, pour les maternelles, dans les 17 compétences proposées récemment par l’inspection concernant la citoyenneté environnementale à l’école, je me focaliserai, par ordre d’importance, sur les quatre suivantes:
- Percevoir l’environnement de façon sensorielle et émotionnelle ;
- Construire une relation avec son environnement naturel et se percevoir comme élément de celui-ci ;
- Travailler en équipes sur des problèmes environnementaux concrets ;
- Développer et mettre en oeuvre des projets environnementaux en faisant appel à sa créativité.
Sabine Daro
Article publié dans le magazine TRACeS de ChanGements n°218, nov-déc. 2014
(1) A. Versailles, Les écogestes, une stratégie d’évitement des questions fondamentales, 2009.
(2) Animation et histoire conçue par Intradel.
(3) La Lettre, Nature Humaine, N°01, 2008.
(4) Assises de l’éducation relative à l’Environnement et au Développement Durable, L’environnement à l’école, c’est l’affaire de tous — Pratiques des associations dans leur relation avec l’école voir Traces du jeudi 24/10/2013.