Face aux défis écologiques et économiques liés à l’approvisionnement en énergie, des quartiers, des villages ou des villes décident de se tourner vers l’autonomie énergétique. Une démarche économique, écologique et citoyenne.
C’est le cas du Mené. Située dans les Côtes d’Armor, en Bretagne, cette communauté regroupe 7 communes et compte 6 500 habitants.
En 2004, elle s’est lancé ce défi un peu fou : couvrir la totalité des besoins en électricité, chauffage et déplacements grâce aux énergies renouvelables.
Au niveau électrique, les communes du Mené produisent déjà plus qu’elles ne consomment. Mais si on considère l’ensemble des trois postes, les énergies renouvelables couvrent – hors industries – 30 % des besoins.
« L’objectif est l’autonomie énergétique complète, en prenant aussi en compte la totalité des industries situées sur le territoire, explique Céline Blaison, chargée de mission Route des énergies du Mené. Nous souhaitons l’atteindre à l’horizon 2025-2030. Il ne reste que 15 ans mais c’est possible. »
Comment augmenter l’attrait économique de la région ? Comment lutter contre la précarité énergétique de ses habitants ? Et comment juguler la pression environnementale que l’industrie impose au territoire ? Ce sont là quelques questions à l’origine du projet breton.
Les communes du Mené vivent essentiellement de l’agriculture et de l’agroalimentaire. La principale entreprise de la région est un abattoir qui emploie plus de 2 000 personnes. Une richesse, mais une faiblesse aussi : en effet, il est parfois difficile de dépendre d’une mono-activité.
En 2005, les élus du Mené se sont rendus dans la ville de Güssing, en Autriche, qui parvient à assurer tous ses besoins (électricité, chaleur et carburant) grâce aux différentes formes de biomasse. Elle revend même de l’énergie. Cela a été une révélation pour les Bretons : si d’autres pouvaient le faire, pourquoi pas eux ?
C’est ainsi qu’a été lancé le projet puis, plus tard, la Route des énergies, un circuit qui présente les différentes installations du Mené.
« L’idée est maintenant d’essaimer ce type d’initiatives et de mettre en place une contamination positive, lance Céline Blaison. Nous accueillons des écoles, mais aussi des clubs de retraités. »
Glossaire :
Un quartier autonome en énergie ou autarcique se concentre sur les besoins en énergie (électricité, chaleur et mobilité), même si certains projets incluent aussi l’alimentation durable et de proximité.
Les quartiers dits durables ou écoquartiers, eux, ont une approche plus intégrée puisqu’ils visent les économies d’énergie, mais aussi la gestion responsable des ressources et des déchets ou l’utilisation de matériaux de construction recyclés. La réflexion porte aussi sur la mobilité, la biodiversité ou la cohésion sociale.
Enfin, les bâtiments ou quartiers zéro énergie produisent, en moyenne annuelle, autant qu’ils ne consomment. Mais en réalité, il y a des moments où la production est supérieure aux besoins et d’autres où elle est inférieure.
Pour Marc Frère, de l’UMons, « si tout le monde surproduit au même moment, cela peut causer des problèmes. C’est pourquoi nous devons tendre vers l’autarcie ».
Parc éolien et chaufferies collectives
Pour atteindre les objectifs fixés, des chaufferies collectives ont été installées. Elles fonctionnent grâce au bois de la forêt locale. Une entreprise de biométhanisation alimentée par le lisier des animaux a également été créée. Une huilerie produit du carburant pour les tracteurs et des tourteaux pour l’alimentation de l’élevage grâce au colza local.
Par ailleurs, un parc éolien participatif a été implanté. Les habitants en sont propriétaires à 30 %. Enfin, des panneaux photovoltaïques ont été installés chez des particuliers et sur le toit d’une école. Notons encore qu’une pépinière d’entreprises liées aux énergies renouvelables et aux économies d’énergie s’est implantée sur le territoire. Elle accueille sept entreprises.
Pour atteindre les 100 %, il reste bien sûr du chemin à parcourir. « Il y a un volet assez important qui concerne l’habitation. Nous avons dans la région de vieilles maisons – dont certaines inoccupées – qui entraînent de grosses pertes en énergie. Et au niveau mobilité, les gens sont encore trop dépendants de leur voiture », poursuit Céline Blaison. Là, l’idée est de réduire les besoins et de favoriser le covoiturage.
La communauté de communes du Mené va aussi participer au programme appelé « Familles à énergie positive ». Une sorte de concours qui incite les gens à réaliser un maximum d’économies simples comme des minuteurs pour les douches ou de nouvelles ampoules.
Car si l’autonomie énergétique passe par l’utilisation de technologies, elle ne peut être atteinte sans une volonté humaine. « Nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours. Il y a des gens qui travaillent toute la journée et qui, quand ils rentrent chez eux, n’ont pas envie de penser à ça. Mais quand on parvient à lancer un parc éolien participatif, on peut dire qu’on sème la bonne parole », conclut Céline Blaison.
L’Institut de recherche énergie de l’Université de Mons (UMons) s’est vu attribuer 2,26 millions d’euros par la Commission européenne pour étudier la question des quartiers autonomes en énergie. Le projet – d’une durée de cinq ans – se nomme « Resized » (pour « Research Excellence for Solutions and Implementation of net Zero Energy city Districts »).
Pour Marc Frère, professeur ordinaire à la Faculté polytechnique de l’UMons et président de l’Institut énergie, « un quartier est autarcique lorsqu’il n’y a aucun échange d’énergie au-delà de son périmètre. C’est-à-dire qu’il produit toute l’énergie dont il a besoin. Nous allons aller à la fois moins loin et plus loin que cette définition. Moins loin car nous n’allons pas interdire l’échange d’énergie aux frontières du quartier. Si le quartier surproduit ou sous-produit, il pourra se tourner vers l’extérieur. Mais on veut aller plus loin au sens où on souhaite que l’énergie produite au sein du quartier soit majoritairement d’origine renouvelable ».
Les chercheurs vont créer une sorte de mode d’emploi décrivant les technologies à utiliser ou le type de bâtiment à construire pour aller le plus loin possible en termes d’autonomie énergétique. Différents scénarios seront étudiés et testés via des outils de simulation.
Pour leur quartier autarcique fictif (dans un second temps, il est possible qu’un quartier témoin soit créé), l’objectif que se fixe les chercheurs est de couvrir « jusqu’à 80 voire 90 % des besoins au niveau chaleur et 50 % des besoins en électricité ».
Le projet ne se basera que sur de nouvelles constructions, car cela permet d’être plus ambitieux. « On se sent moins limité en matière de technologies quand on travaille sur de nouvelles constructions. Le but est de développer de nouvelles technologies ou de tester celles qui n’existent encore que dans les laboratoires », explique Marc Frère. Quitte à adapter ensuite ces technologies à des habitations existantes.
Quant à l’échelle, le quartier semble être l’idéal. « Un ensemble de technologies envisagées dans le projet existent déjà à l’échelle d’un bâtiment. Mais le problème réside au niveau du stockage. Il est plus simple – d’un point de vue économique – de mettre en place des systèmes de stockage qui serviront à plusieurs bâtiments », déclare le Pr Frère.
Resized regroupe cinq laboratoires. Dont des architectes qui s’interrogeront sur les fonctions à implanter dans le quartier (commerces, artisanat, etc.). Et aussi sur le style des habitations : est-il souhaitable d’imposer une architecture uniforme ? La technologie ne doit-elle pas aller plus loin pour laisser de la place à la créativité ?
Violaine Jadoul
Article publié dans le magazine Imagine demain le monde n°107, jan-fév. 2015
Illustration : Céline Jouan
Légende : Parc éolien participatif, chaufferie au bois local, biométhanisation… Au Mené, dans les Côtes d’Armor (Bretagne), le projet de quartier autartique est désormais sur les rails.