Si vous passez sur la place du monument à Othée, dans le liégeois, vous entendrez peut-être « Oh Sole mio » derrière les murs de la salle communale. C’est Francesco, plafonneur octogénaire, qui pousse la chansonnette lorsqu’on lui demande son coup de cœur du mois. Il participe non pas à un concours de chant napolitain, mais à un Atelier Conso des Equipes Populaires, mené en partenariat avec le CPAS d’Awans. Depuis plusieurs années, ils sont ainsi une petite dizaine à se réunir chaque mois à Othée pour échanger, dans la convivialité et la bonne humeur, sur les questions de consommation : de l’étiquetage alimentaire à l’obsolescence programmée, des télécommunications aux factures d’énergie. « Il faut de la variété, il faut s’amuser et prendre du plaisir, il faut que les gens aient envie de venir, tout simplement, qu’ils y trouvent leur compte, explique Françoise Caudron, des Equipes Populaires. Mener un travail sérieux sans pour autant se prendre la tête. Légèreté et profondeur. »
Consommation alternative
« On voit beaucoup d’alternatives à la société de consommation, explique Nathalie Mottet, animatrice pour les Equipes Populaires. La demande du groupe était de rencontrer des initiatives locales qui créent du lien, de la solidarité, et qui sont écologiques ».
Aujourd’hui, deux intervenantes extérieures sont venues expliquer les objectifs et le fonctionnement du SELansois, le système d’entraide locale de Ans. Le SEL est un moyen d’échanger des services et des savoirs sans utiliser d’argent : cours de langue, réparation, couture, informatique, bricolage, gardiennage… Offrir 1 heure de service permet de bénéficier d’1 heure d’un autre service rendu par un autre membre du SEL. Elizabeth, qui participe aux Ateliers Conso depuis 7 ans, prend note : « Je vais y participer. » « Mais moi, personne ne voudra garder mon lézard ! », plaisante Eve. « A la prochaine réunion, on pourra réfléchir ensemble à nos compétences à offrir », propose Nathalie Mottet.
Sophie Walraff, responsable des services énergie et médiation de dette du CPAS d’Awans, présente ensuite le Repair Café, qui sont des rencontres ouvertes à tous visant à réparer ensemble tout objet cassé. Le jeune Joshua semble intéressé : « Quand une machine est foutue, moi je démonte, raconte-t-il. Et s’ils ne vendent pas la pièce, je vais voir si j’en trouve dans une autre machine au parc à conteneurs ». « Tu pourrais drôlement les aider, estime l’assistante sociale. Le mieux serait d’aller tous ensemble voir comment ça se passe. »
La force du collectif
Des Ateliers Conso sont organisés par les Equipes populaires en plusieurs endroits de Wallonie, souvent en milieu rural, à la demande et en partenariat avec des CPAS ou des maisons médicales. Sophie Walraff, du CPAS d’Awans : « Il y a des choses qu’on ne peut pas faire en individuel, le collectif a une force, c’est très enrichissant. Au-delà des thèmes abordés, cela permet de créer du lien, de l’entraide, de sortir de son isolement ». « Le contexte de vie des participants est difficile, constate Françoise Caudron. Leurs revenus sont comptés, certains bouclent leur mois à l’euro près. La plupart, mais pas tous, sont en médiation de dette ou en règlement collectif de dette. Ce qu’on constate, pour beaucoup, ce sont de gros problèmes de santé physique et parfois mentale. Ce peut être la cause ou une conséquence… »
A Othée, plusieurs participantes sont sorties du surendettement, mais elles continuent néanmoins à participer, parce que le groupe est important pour elles. « Ça nous fait du bien, parce qu’on ne sort jamais et qu’on ne connaît pas grand monde. J’apprends beaucoup de choses ici. Il y a des choses que je ne peux dire qu’ici », témoigne Eve, soulagée de pouvoir partager au groupe ses petits et grands soucis quotidiens. « On le constate à chaque fois : les personnes ont vraiment besoin de s’exprimer au-delà des sujets de consommation, constate Françoise Caudron. Ca prend une place importante ».
Des thèmes définis par le groupe
Les thèmes abordés lors des Ateliers sont définis dès le départ par le groupe, lors de l’évaluation collective annuelle. « On n’a rien à leur apprendre, on a à apprendre les uns des autres, à construire les choses ensemble, volontairement, sans contraintes », insiste Françoise Caudron. Travailler avec les gens et non pas pour les gens. « Il y a cette volonté de connaître ce qui est alternatif à la société de consommation, avec la notion de budget en arrière fond. On n’ajoute pas une couche de culpabilisation par rapport à l’environnement, d’ailleurs ils sont déjà dans la simplicité, involontaire, par nécessité. S’ils ont des soucis d’argent, ce n’est pas parce qu’ils ont acheté le dernier IPhone, comme trop de gens se l’imaginent, mais parce qu’ils ont eu des accidents de vie, par exemple une maladie, insiste Nathalie Mottet. Ils sont préoccupés par l’environnement, en lien avec leur vie. L’an passé on a beaucoup abordé l’alimentation et les circuits courts, mais pour le moment c’est tout ce qui tourne autour de la récup’. On alterne les moments de débats et réflexion, avec des sorties extérieurs, des visites d’initiatives locales, des ateliers pratiques… » Au programme du mois prochain : visite d’une coopérative qui offre une seconde vie aux déchets, du compost d’Intradel, spectacle sur la sécu ou l’agriculture avec les Ateliers Conso des autres villages… En organisant un co-voiturage, puisque seuls 2 des 10 participants ont une voiture. « Après 5 ans, le groupe a eu cette volonté de s’ouvrir sur l’extérieur, mais on a d’abord dû passer par la réappropriation de la confiance en soi, de l’estime de soi », souligne l’animatrice.
Voir – juger – agir
« Voir – juger – agir », ce sont les trois étapes de la dynamique d’éducation permanente portée par les Equipes Populaires. « Porter ensemble un regard critique sur les choses et essayer d’aller vers l’action », résume François Caudron, qui propose 4 C : Confiance, Considération du parcours et de la parole de chacun, Citoyenneté participative et Créativité dans les modes d’expression et les animations. « Ce sont des personnes en souffrance, qui ne n’arrivent plus à sortir de chez elles. Pour franchir la porte du CPAS, pour aller vers un règlement collectif de dettes cela a déjà pris des mois de questionnements. Les réunir autour d’une table, c’est déjà une victoire. Donc il est important d’instaurer un climat de confiance en disant « on n’est pas là pour juger la situation de chacun, et ce qui se dit dans le groupe reste dans le groupe » ».
Jusqu’aux politiques
« On essaie que chacun participe vraiment à la dynamique, explique Françoise Caudron. C’est difficile, cela demande du temps. L’émancipation individuelle ça passe par le fait d’oser s’exprimer dans le groupe, participer aux débats qu’on mène entre nous, et cela va jusqu’à s’exprimer en dehors du groupe sur ce qu’on fait ensemble ». Comme participer sur le marché à la Journée sans crédit, ou témoigner à la télé de son propre problème d’endettement. A Othée, le groupe a même rencontré des élus. « Toutes les questions qui viennent des groupes, on essaye de les relayer, si possible jusqu’au niveau politique. C’est ce qui a permis de mettre en place la fameuse Journée sans crédit. En effet, c’est à travers ce genre de groupe où on mettait en évidence la promotion intempestive des ouvertures de crédit par les grandes surfaces, etc. qu’on a eu l’idée faire un travail de sensibilisation autour de cette question du surendettement et des crédits faciles. Depuis, on a pu faire améliorer la loi sur le crédit à la consommation. »
Christophe Dubois
Article réalisé dans le cadre du dossier « Environnement et social » du magazine Symbioses (n°106 – 2e trimestre 2015)
Equipes Populaires – 081 73 40 86 – www.equipespopulaires.be
adresse mail : lesdecroissantsdethune@gmail.com
site internet : http://ameliesaou.wix.com/festigratuit
Le 18 e 19 juillet France Drôme
lieu : 26 310 Barnave
Bonjour, en passant par là, il me semblait intéressant de vous parler de notre collectif qui organise un festival autour de la gratuité et une réflexion sur notre consommation. Bravo pour vos initiatives.
Cordialement.