Oser « Tout autre chose »Clés pour comprendreFocus

8 juin 2015

En novembre dernier, les syndicats en front commun ont mobilisé plus de 120.000 personnes contre les mesures d’austérité du gouvernement michel, une mobilisation qu’on n’avait plus vue depuis dix ans. Parmi elles, on trouve le jeune mouvement citoyen (1) “Hart boven hard – le cœur pas la rigueur” qui a la particularité de manifester “autrement”. Le 11 décembre 2014, les francophones leur emboîtent le pas. “Tout autre chose” voit le jour avec comme étendard l’espoir qu’une alternative existe à l’austérité, qu’il faut oser rêver autre chose.

A côté des organisations traditionnelles syndicales, d’autres formes d’action citoyenne fourmillent, s’activent pour se rapprocher chaque jour un peu plus de la fin de l’austérité qui est actuellement présentée comme la seule alternative possible. Récemment, on a vu émerger dans le paysage déjà bien rempli des organisations citoyennes, un nouveau venu, le mouvement « Tout autre chose ».

Un de ses initiateurs, le comédien David Murgia, explique au micro de Bertrand Henne sur les antennes de La Première, que ce n’est pas un mouvement qui souhaite se substituer aux syndicats ou aux autres mouvements existants (comme Acteurs des temps présents par exemple) mais qui, au contraire, souhaite être la caisse de résonance du réseau associatif existant, lui donner plus de visibilité. Mais aussi rassembler les idées qui foisonnent dans ces mouvements, regrouper les différents acteurs en une seule lutte, celle de la fin de l’austérité. Certains des collectifs existants comme par exemple le Réseau Stop Article 63§2, qui est engagé dans la lutte contre l’exclusion des chômeurs ou l’Alliance D19-20 qui milite contre le Traité transatlantique ont des revendications très précises qui rejoignent une idée plus large ; celle de la possibilité d’une alternative. Celle de remplacer le célèbre TINA (There is no alternative) par “TAMA” (There are many alternatives).

Refaire société

Bien que composé essentiellement de collectifs de gauche, « Tout autre chose » se dit apolitique, ouvert à tous : de gauche ou de droite. Sa particularité est de rassembler les milieux artistiques, culturels et sociaux. Il se présente comme l’alternative éventuelle pour les personnes qui ne se retrouvent pas dans les organisations existantes.

Son leitmotiv : « lutter contre le discours dominant qu’il n’y a aucune alternative », qu’au contraire une autre voie est possible. Et c’est au citoyen de se saisir de la question, en reprenant son rôle en main, à savoir s’occuper des questions qui font la société. Le mouvement veut solidariser les citoyens, les organisations de la société civile pour qu’elles se réapproprient la chose publique.

Comme l’explique Jean Blairon (docteur en philosophie et lettres) dans L’appel (2), on assiste actuellement à un décloisonnement des luttes sociales: les syndicats étaient présents en tant qu’organisation à la journée de lutte contre la pauvreté alors qu’auparavant, ils étaient représentés par quelques délégués. Cela montre qu’il y a une volonté de partager le même combat. Les syndicats savent qu’il y a là un enjeu crucial, rassembler les travailleurs mais aussi les sans-emplois et les exclus. Il y aurait donc une complémentarité entre les syndicats qui feraient remonter les cris et chuchotements du terrain vers les instances de décisions et les associations qui feraient écho aux voix des citoyens et permettraient aux syndicats d’être plus en phase avec les nouveaux modes de mobilisations sociales. « Il est difficile de contester qu’en tant que partenaires sociaux, les syndicats sont un acteur incontournable de la démocratie sociale. Mais, selon moi, les associations, par leur souplesse et leur présence sur d’autres terrains, peuvent très bien compléter le regard syndical. Boltanski, lui, ajouterait ceci : les associations sont capables d’écouter les silences dans la société, les plaintes mal formulées ou non encore exprimées » précise Jean Blairon. A condition, que les syndicats ne récupèrent pas ces récentes initiatives sociales à leur seul profit « pour compenser leur position plus difficile à tenir aujourd’hui qu’hier » comme le souligne dans son article le journaliste Stéphane Grawez.

Mais comment va procéder « Tout autre chose » ? Il vient de définir dix principes partagés par ces citoyens issus de différents bords. Parmi ces principes, la créativité qui fait partie intégrante des formes d’action du mouvement qui « manifête » et invite à faire une balade à vélo pour soutenir les piquets de grève. « Etudiants, familles, grévistes, sceptiques, cyclistes, jeunes et moins jeunes, musiciens, toutes et tous indignés par la politique d’austérité de nos gouvernements, et souhaitant proposer des alternatives, et renforcer le mouvement social en marche. » Ou plus récemment, qui mobilise les internautes en leur proposant de faire un selfie devant un CPAS avec une pancarte indiquant le nombre d’exclus du chômage. Avec à la clef, le déploiement d’une banderole qui rassemble ces photos, devant le cabinet du ministre des classes moyennes… et de l’intégration sociale, Willy Borsus.

Utiliser de nouvelles formes d’action, c’est également une caractéristique de la plateforme Acteurs des temps présents (3) qui a organisé des marches pour aller à la rencontre des citoyens « sur leur lieu de travail, dans les villages, les théâtres, les fermes… » afin d’échanger avec eux, de partager leurs expériences et de réfléchir aux alternatives possibles.

Et après ?

« Tout autre chose » n’a que deux mois et demi, le mouvement s’organise peu à peu, il a défini trois objectifs: dans un premier temps, s’occuper de la sensibilisation du grand public mais aussi de l’associatif, recueillir davantage de signatures de l’appel mais aussi renforcer les liens avec d’autres mouvements ou organisations, échanger avec elles en organisant à leurs côtés des « actions et mobilisations créatives et originales ». Dans un second temps, il vise la constitution de groupes locaux de citoyens et souhaite puiser dans les propositions concrètes de l’échelon local pour les articuler aux alternatives politiques afin de déterminer une autre manière de faire ensemble société. Une première assemblée générale aura lieu en mars au cours de laquelle le mouvement présentera ses lignes de force pour l’année 2015.

Un objectif rassembleur, fédérateur des collectifs de citoyens existants, la récolte de signatures en un temps record, l’utilisation de nouvelles formes d’action comme une promesse de renouveau face à la routine de l’appareil syndical parfois éprouvé aux yeux de certains, un mouvement qui souhaite que le citoyen lambda se saisisse du débat public… Autant d’éléments prometteurs qui nous donnent envie de croire au souffle nouveau de « Tout autre chose ». Mais attention au réveil brutal ! Beaucoup d’inconnues planent sur l’avenir de ce nouveau venu : Comment va-t-il maintenir l’intérêt ? Comment va-t-il s’organiser sur la longueur ? Comment va-il constituer des propositions concrètes et les faire prévaloir auprès des politiques ? Réussira-t-il le pari de la coalisation des luttes existantes ? Quelle plus-value va-t-il apporter aux réseaux d’associations existants ? Le chemin qui mène à une démocratie plus participative est encore long mais n’est-ce pas le prix à payer quand on ose rêver de « Tout autre chose », en essayant d’inclure TOUS les citoyens, tant les vieux routards de la contestation que les non-initiés ?

Claudia Benedetto
Article publié dans Contrastes n°166 (janvier-février 2015), la revue des Equipes populaires

Illu: © Jan Busselen

(1) Né en septembre 2014 en Flandre.
(2) L’appel n°374, février 2015. Éclairage : Les luttes sociales dans la tourmente.Vers de nouveaux fronts sociaux ?
(3) Créé à l’initiative de la FGTB avant les élections fédérales de mai 2014, ATP compte une soixantaine d’organisations.

En savoir plus:
www.toutautrechose.be

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