Le climat change. Et nous ? Pas suffisamment. Pourquoi ? « Parce que nous sommes des êtres sociaux et émotionnels », répond Vincent Wattelet, psychologue et formateur en processus de transition*. Interview.
Nous avons beau savoir que des changements climatiques sont en cours et s’accélèrent, que les effets seront dévastateurs, nous éprouvons des difficultés à modifier individuellement et collectivement nos modes de vie. Comment l’expliquer ?
V. Wattelet : Comment se représenter ce qu’est un changement climatique si on ne l’a pas devant les yeux ? Nous avons du mal à nous projeter dans le complexe et dans le lointain, spatial ou temporel. Par ailleurs, nous sommes des êtres sociaux et émotionnels. Si nous étions des êtres rationnels, il n’y aurait plus de changement climatique. En effet, nos comportements sont avant tout régulés par la projection de ce qu’on pense que les autres attendent de nous. Or, si le discours social sur l’importance du changement climatique s’est affirmé ces dernières années, ce n’est pas encore le cas des normes de comportements. Nous sommes dans un environnement social où la consommation reste très valorisée et où le miracle technologique est sensé nous sauver.
«Si nous étions des êtres rationnels, il n’y aurait plus de changement climatique »
Outre le facteur social, une autre explication serait aussi le prix à payer d’accepter de fondamentalement changer nos comportements. Il est plus facile de conserver une forme de dissonance cognitive et de ne pas ajuster nos comportements à nos connaissances. Malgré le haut degré d’information sur les causes et conséquences des changements climatiques, les processus de déni sont encore énormes. C’est tellement anxiogène ! Les émotions suscitées sont parfois tellement dures : la peur, la culpabilité, la colère, l’impuissance, la faiblesse..
Vous invitez les éducateurs à donner une place aux émotions dans leurs démarches pédagogiques pour rendre sensible le changement climatique.
Annoncer des catastrophes sans laisser place au moindre signe d’émotion, ça sonne faux. Tant qu’un sujet complexe comme le changement climatique n’est pas traité au niveau émotionnel, il peut difficilement engendrer un comportement intégré et cohérent. Il s’agit d’ouvrir la porte et de rendre permis ce ressenti émotionnel. Par exemple, en proposant des phrases ouvertes que les gens doivent compléter : “Face aux changements climatiques, je me sens…”. Ce n’est pas compliqué, mais c’est très exigeant. Car cela implique de la part de l’animateur d’accepter ses propres émotions, de les regarder en face et de pouvoir les partager avec le groupe, sans tomber dans le pathos.
Dans un processus éducatif, le partage des émotions serait l’étape intermédiaire entre l’information et les pistes d’actions ?
La tête, les mains et le cœur ont tous les trois une place complémentaire dans le processus. La « tête », c’est informer, analyser, réféchir. Le « coeur », c’est laisser la place aux émotions suscitées par les informations. Enfin « les mains », c’est permettre d’imaginer et d’adopter des comportements et des actions concrètes. Si on va trop vite de la tête aux mains, de l’information à l’action, on peut créer le sentiment d’être manipulé. Ce qui est très intéressant dans l’action, c’est que c’est une manière efficace de faire le deuil. Le deuil de nos modes de consommation, de la sécurité pour nos enfants, d’un monde de justice sociale… Les changements climatiques vont ébranler tout cela. Pour certaines personnes, se mettre en mouvement peut être la meilleure manière de travailler la peur de ce qui va arriver.
Ce dispositif « tête-cœur-main », c’est quelque chose à travailler dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, pas seulement pour éduquer aux changements climatiques. En commençant par des défis à la taille de chacun. Ce processus doit être construit dans la durée avec et par les participants, car ce sont eux qui vont s’informer, ressentir, agir. Le rôle de l’animateur sera de les aiguiller et de les encourager.
L’échelle des solutions envisagées au niveau individuel n’est-elle pas inadéquate par rapport à la dimension planétaire du problème ? Que pouvons-nous faire ?
Toutes les échelles sont importantes, que ce soit les gestes individuels ou la militance visant à changer les politiques. Mais à mon sens, celle qui donne le plus de puissance d’agir et de retour sur investissement, c’est le monde des initiatives collectives locales : les coopératives énergétiques, les groupements d’achat solidaires, les repair cafés, les systèmes d’échanges locaux… Quand ça aboutit,cela donne un véritable sentiment de capacité de transformation.
Propos recueillis par Christophe DUBOIS
Article paru dans le magazine SYMBIOSES n°108, dossier « Eduquer aux changements climatiques » (quatrième semestre 2015)
* Constatant les changements climatiques et la fin de l’énergie bon marché, les initiatives de transition visent à construire des alternatives concrètes au système économique actuel. V. Wattelet est formateur au sein du Réseau des initiatives de transition Wallonie – Bruxelles. www.reseautransition.be
Merci pour cette série !
Qui a dit « Plus on sait, moins on sent. » ?
Lors du tsunami de 2004, les premiers à s’être sauvé en s’éloignant -instinctivement- du rivage, sont les animaux, même ceux domestiqués, qui ont parfois sauvé leur maître ( Je me souviens d’un jeune cornac sur son éléphant ).
Les habitants de longue date ont su « lire » le comportement des animaux et savait que si le niveau de la mer baissait brusquement, cela annonçait la catastrophe. Ils sont, eux aussi, allés à l’intérieur des terres.
Les plus « bêtes » ont été les touristes qui, devant ce phénomène, se sont rapprochés du rivage avec leur appareils photos dernier modèle : de bons représentants du monde libre, évolué, civilisé. Le sommet du Sapiens sapiens.
J’ai demandé au magasine « Science et Vie » si le repli instinctif des animaux coïncidait avec les premières mesures sismiques à l’épicentre (non transmises à temps !), ou les avait précédé. Je n’ai pas eu de réponse.