Ces dernières années, la Belgique a accueilli moins de 20 000 demandeurs d’asile(1) par an (16 813 demandeurs si l’on fait la moyenne des 10 dernières années). De janvier à fin octobre 2015, la Belgique a enregistré 27076 demandes d’asile(2). A titre de comparaison, en 1999, la Belgique a accueilli plus de 35000 réfugiés et plus de 42000 en 2000. Cette arrivée importante de réfugiés (kosovars, congolais, tchétchènes, afghans et irakiens) n’a pas bouleversé la démographie belge et une partie de ces réfugiés sont rentrés au pays une fois la paix revenue dans leur pays. En Belgique, il y a aujourd’hui 1 réfugié pour 410 habitants. Comparé à ce que l’on voit dans beaucoup d’autres pays du monde, c’est très peu. Citons le Liban, où il y un réfugié pour trois habitants. S’il y a donc une nette augmentation des demandes d’asile due à la guerre en Syrie et en Irak, on est loin d’assister à un déferlement sans précédent de migrants.
Et l’Europe?
DES OUTILS UTILES
Carte interactive des migrations dans le monde, un outil très intéressant pour voir sur carte les chiffres de la migration et déconstruire certaines idées reçues!
>> http://www.iom.int/world-migration
La brochure d’Amnesty International 10 préjugés sur les migrants, qui aide à déconstruire 10 idées reçues auxquelles vous ne savez peut-être pas toujours comment répondre.
>> http://www.amnesty.be
Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), le nombre total de personnes déplacées en 2014 a atteint le triste record de 59,5 millions(3). C’est la conséquence des nombreux conflits dans le monde. 86% des personnes déplacée dans le monde se trouvent dans des pays en développement. L’Union européenne, quant à elle, n’accueille que 8% des réfugiés du monde.
En 2014, on compte 626 000 demandes d’asile introduites dans les 28 États membres de l’Union européenne, soit une augmentation de 44% (4). Mais cela ne veut pas dire grand-chose du point de vue de la répartition puisqu’un tiers de ces demandes sont enregistrées en Allemagne (soit 202 700 demandes) et 10% en France (soit 62 800 demandes). Remarquons aussi que, si l’Allemagne a connu une augmentation des demandes de 60% par rapport à l’année précédente, la France a, quant à elle, enregistré une diminution de 5%.
En ce qui concerne plus précisément la crise syrienne, on estime aujourd’hui que le nombre de réfugiés syriens s’élève à un peu plus de 4 millions. Il est important de se rendre compte que l’essentiel de ces réfugiés se trouvent dans les pays voisins de la Syrie. Ainsi, la Turquie en accueille près de la moitié (1,8 million), la Jordanie environ 630 000 et le Liban plus de 1 170 000(5). Soulignons que le chiffre concernant le Liban est d’autant plus énorme que ce pays comptait, en 2013, une population totale de moins de 4,5 millions d’habitants. Le propos n’est pas ici de minimiser le phénomène migratoire. Début octobre, l’ONU prévoyait que 700 000 migrants auront cherché à rejoindre l’Europe fin 2015 et qu’il est probable que ce chiffre augmente en 2016(6). Nous assistons donc à une réelle et très nette augmentation des demandes d’asile en Europe.
Si, au regard des chiffres, on peut affirmer que l’Europe n’accueille qu’une petite partie des réfugiés et que l’on ne fait pas face à un déferlement qui risque de bouleverser la société européenne, il convient cependant de prendre conscience que l’immigration est une réalité qui s’amplifie et va encore s’amplifier. L’attrait que représente l’opulence de nos sociétés, les inégalités mondiales croissantes et les guerres en sont les principales causes. Il ne faut pas douter non plus qu’à l’avenir, les réfugiés climatiques seront des millions, sinon des centaines de millions.
Les réfugiés coûtent-ils trop cher ?
L’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, Fedasil, reçoit une dotation annuelle d’environ 300 millions d’euros(7), ce qui représente environ 0,15% des dépenses totales de l’administration belge. Cet argent sert à financer le personnel de Fedasil et de ses partenaires, ainsi que le fonctionnement des différentes structures d’accueil : entretien des bâtiments, chauffage, eau, électricité, nourriture, transport. L’accueil d’un demandeur d’asile adulte coute 40€ par jour en centre d’accueil. Mais seule une toute petite portion de ce budget, soit environ 7 € par semaine (1€ par jour !), est remise au demandeur d’asile pour ses dépenses courantes.(8) Ensuite, un demandeur d’asile qui reçoit le statut de réfugié obtient un droit au séjour en Belgique, un accès au marché du travail et un droit à l’aide financière du CPAS. Cela signifie que le réfugié a alors droit au revenu d’intégration sociale (RIS), c’est-à-dire 833,71 euros par mois pour un isolé, 555,81 € pour un cohabitant, et 1 111,62 € plus allocations familiales(9) pour un ménage avec enfants à charge(10). Il faut donc aussi prendre en compte le coût que cela engendre pour les CPAS.
Ceci dit, il est important d’avoir une vision systémique de l’économie et de bien se rendre compte que la monnaie n’est pas statique mais qu’il s’agit bien d’un flux. Ainsi, on voit bien que l’argent dépensé pour l’accueil des demandeurs d’asile est réinvesti directement dans notre économie. En effet, l’accueil de demandeurs d’asile va de pair avec la création d’emplois dans le secteur et la consommation de biens et de services. De même, en ce qui concerne les dépenses des CPAS, comme pour toute allocation sociale, observons que l’argent perçu par les réfugiés alimente directement l’économie réelle et locale par la consommation (loyer, vêtements, nourriture, etc). On voit rarement un réfugié placer son Revenu d’Intégration Sociale dans un paradis fiscal ! N’oublions donc pas que cet argent circule et qu’il stimule notre économie.
Et « nos » SDF ?
Dans les lieux d’accueil, dans les CPAS, dans l’opinion publique en général, on ressent une tension : pourquoi le gouvernement est-il capable de trouver si vite des places d’accueil pour les nouveaux arrivants et par pour « nos » SDF qui sont à la rue depuis longtemps ? N’a-t-on pas déjà assez à faire avec la pauvreté de nos concitoyens pour encore accueillir des réfugiés en grand nombre ? C’est la crise, les caisses de l’État sont vides… les Belges doivent déjà se serrer la ceinture, donc la Belgique n’a pas les moyens d’accueillir plus de demandeurs d’asile. Y aurait-il plus d’argent pour les SDF et les Belges précarisés s’il n’y avait pas cette nouvelle vague de migration ? Non ! Rappelons-le : les gouvernements, quel que soit l’échelon ou la tendance politique, n’ont pas attendu les réfugiés pour mettre en œuvre des politiques d’austérité. Cela fait 30 ans que des politiques néolibérales sont mises en œuvre pour détricoter l’État-providence : on a privatisé les entreprises publiques sans discernement, on a réduit des services publics performants et on a coupé dans des dépenses sociales qui jouaient leur rôle de réduction des inégalités.
Une prospérité mal partagée
En 2008, l’État a dû sauver des banques irresponsables qui ont mené le système financier à la crise. En conséquence, la dette publique belge s’est creusée et de nouvelles restrictions budgétaires ont été adoptées. Depuis lors, les gouvernements successifs (Di Rupo et Michel) n’ont cessé de réduire les dépenses sociales : dégressivité accrue des allocations de chômage(11) (entrée en vigueur le 1er novembre 2012), la limitation dans le temps des allocations d’insertion et l’exclusion des chômeurs de longue durée depuis 1er janvier 2015, etc. Donc, que les migrants arrivent en Belgique ou non, on constate qu’il y a toujours moins d’argent investi dans les services publics, la sécurité sociale et les associations de lutte contre la pauvreté.
Or, la Belgique n’a jamais été aussi riche(12) ! Avec un produit intérieur brut (PIB) de plus de 530 milliards de dollars(13), soit un peu plus de 460 milliards d’euros, la Belgique fait partie des 25 pays les plus riches du monde(14). Quant à l’Union européenne, elle est toujours la première économie au monde. Cela ne veut pas dire que tous les Belges et tous les Européens n’ont jamais été aussi riches : la richesse est en effet de plus en plus mal répartie. Aujourd’hui, les 10% des ménages européens les plus riches possèdent plus de la moitié du patrimoine européen(15). Le fossé entre riches et pauvres ne cesse de se creuser. Rappelons aussi que non seulement les multinationales s’arrangent pour ne payer presque aucun impôt, mais que la Commission européenne constate elle-même que, chaque année, la fraude et l’évasion fiscales s’élèveraient à 1 000 milliards d’euros(16). La Belgique et l’Europe sont donc bien assez riches pour que chaque Belge, chaque Européen et chaque réfugié qui arrive chez nous vivent bien.
Migrants : Positifs pour notre économie
De plus, des études(17) montrent que l’immigration à un impact plutôt positif sur l’économie belge.18 Ainsi, l’impact de l’immigration serait positif sur la création d’emploi, sur le salaire et sur l’activité économique. L’immigration aurait tendance à augmenter les salaires des Belges d’entre 0 et 1,2%(19). Selon les scénarios les plus raisonnables, l’impact de l’immigration sur les finances publiques serait positif et correspondrait à 0,5% du PIB20, soit environ 2,3 milliards d’euros aujourd’hui. On remarque également qu’un nombre relativement important d’immigrés créent non seulement leur propre emploi mais génèrent également des emplois pour les autres(21).
De plus, ils créent de l’activité dans des secteurs moins développés par les Belges de naissance. On trouve proportionnellement plus d’indépendants chez les immigrés que chez les natifs ! C’est intéressant parce qu’une grosse partie des Belges pensent que les immigrés risquent de prendre l’emploi des natifs. Pourtant, avec l’arrivée d’immigrés, il y a augmentation du nombre de consommateurs, et certains d’entre eux sont aussi des entrepreneurs. De ce fait, la population immigrée contribue au développement de l’économie (consommation, investissements, exportations). Elle pourrait y contribuer encore plus si notre pays laissait s’exprimer le potentiel des réfugiés et faisait preuve d’ouverture et d’imagination pour éviter le gaspillage de compétences : accès plus rapide au marché du travail et lutte contre la discrimination à l’embauche, meilleur financement de l’apprentissage des langues nationales et de la formation professionnelle…
En Allemagne, le patronat pousse déjà le gouvernement dans cette voie ! Bien entendu, des études mettent en évidence des effets potentiellement négatifs de l’immigration sur le capital social, la confiance ou la solidarité entre les citoyens. Mais ces coûts, tout comme d’autres effets bénéfiques de l’immigration sur l’innovation, création de biens et de services, ou encore l’indice des prix, par exemple, font l’objet d’analyses beaucoup moins consensuelles.
Une inutile mise en concurrence
Une chose est certaine : le discours qui instrumentalise les SDF et les personnes appauvries de Belgique pour s’opposer à l’accueil des réfugiés n’aide personne. Au contraire, il génère encore plus d’exclusion. Mettre en compétition les solidarités n’est pas pertinent puisque le problème n’est pas le manque de ressources ni de richesses mais bien la manière dont la prospérité est partagée. En fait, opposer pauvres de Belgique et réfugiés est pire encore puisque ce n’est pas le sans-abri, le réfugié ou le chômeur, par exemple, qui menace aujourd’hui le bien-être dans notre société, mais bien le règne sans partage des multinationales, l’avidité des spéculateurs et la concentration des richesses au profit d’une très petite minorité.
Ne l’oublions pas : nous vivons dans un monde globalisé où les capitaux, le pétrole et tant de biens peuvent traverser les frontières bien plus facilement que les gens. À l’heure de la mondialisation, nous sommes tous sur le même bateau, tous (bien qu’à des degrés différents) victimes du même système. Ne jouons donc pas le jeu de ceux qui divisent pour encore mieux régner et, au lieu de pointer du doigt les plus faibles, réclamons une véritable justice fiscale, la revalorisons de la sécurité sociale et des services publics et la limitation stricte du pouvoir des multinationales qui pillent le sud et appauvrissent le nord.
Au-delà de l’utilitarisme et des considérations économiques…
Enfin, remarquons qu’à la télévision, dans les journaux et lors des conversations entre amis, on ne s’étonne plus de toujours ramener toute question de société à des considérations économiques. Cette analyse elle-même en joue le jeu. Aujourd’hui, le réfugié, hier le chômeur, avant-hier le pensionné… l’autre est d’abord vu comme un coût, une charge pour les finances publiques. Finances publiques et compétitivité : le discours néo-libéral a colonisé notre esprit. Il nous martèle à longueur de temps que s’il y a un problème, l’autre en est forcément la cause. À ce petit jeu, il n’y aurait de place légitime en ce monde que pour les adultes actifs, diplômés et/ou compétents, en bonne santé, autochtones et qui ont eu la chance de naître dans un beau quartier d’un un pays riche et en paix. Quelle place donnons-nous encore à toutes les autres richesses qui font l’être humain et le monde ? Quelle place laissons-nous encore à l’éthique, à l’humanisme et au respect des droits ? Peut-être cette nouvelle « crise » des réfugiés peut-elle aussi constituer l’occasion de changer notre manière de voir le monde et les autres ?
Quoi qu’il en soit, il est important de rappeler que la lutte contre la migration se révèle très coûteuse, inefficace et mortelle. Ainsi, que nous le voulions ou non, nous allons devoir dépasser nos peurs et nos frustrations pour apprendre à vivre ensemble. Alors pourquoi ne pas choisir la voie de la solidarité que vivent déjà des centaines de volontaires en Belgique ?
Jean-Yves Buron
Analyse publiée en 09/2015 par Vivre Ensemble Education
(1) un demandeur d’asile est une personne qui demande une protection au pays d’accueil contre un risque important d’atteinte à sa sécurité ou à sa vie dans son pays d’origine, en vertu de la Convention de Genève de 1951. Si le demandeur d’asile voit sa demande acceptée, il obtient le statut de réfugié. Si sa demande est rejetée et qu’il ne quitte pas le territoire, il devient un immigré clandestin encore appelé un sans-papiers. Voir les analyses de Vivre Ensemble : « L’immigration, une menace ou une chance ? » et « Crise des réfugiés ou de l’accueil ? » sur www.vivre-ensemble.be.
(2) Voir le site du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides ou voir les statistiques mensuelles pour l’année 2015 – Demandes d’asile – Direction générale Office des étrangers.
(3) Rappelons que l’on compte 7,3 milliards d’êtres humains.
(4) Voir Eurostat
(5) Voir : www.lorientlejour.com
(6)Voir le communiqué de presse du HCR Pour les chiffres de demande d’asile dans l’UE, voir: www.ec.europa.eu
(7) http://fedasil.be/fr/content/budget
(8) http://www.liguedh.be
(9) www.luttepauvrete.be
(10) Rappelons qu’en Belgique, pour un adulte isolé, le seuil de pauvreté est fixé à 1 085 euros par mois.
(11) Voir l’analyse Vivre Ensemble : www.vivre-ensemble.be
(12) Sur les idées reçues à propos de l’austérité, voir l’analyse de Vivre Ensemble
(13) Voir les données de la Banque Mondiale : www.donnees.banquemondiale.org
(14) Alors que la Belgique est un petit pays avec peu de ressources naturelles.
(15) Selon une étude publiée en octobre 2014 par la banque privée suisse Julius Baer.
(16) Voir : www.tempsreel.nouvelobs.com
(17) OCDE, ONU, IWEPS et UCL, par exemple.
(18) Voir les analyses de Vivre Ensemble : L’immigration, une menace ou une chance ? et Crise des réfugiés ou de l’accueil ?
(19) Voir : Regards économiques, une publication des économistes de l’UCL
(20) Idem.
(21) Voir MARFOUK Abdeslam, Préjugés et fausses idées sur l’immigration et les immigrés, vecteurs de discrimination en matière d’accès à l’emploi, le working paper de l’IWEPS de juin 2013, p.28 : http://www.iweps.be/sites/default/files/wp14.pdf