Vous ne ferez plus vos courses comme avantClés pour comprendre

23 mars 2016

Seulement 7% d’entre nous ont confiance en la grande distribution. Autrement dit, 93% des Belges francophones doutent de la capacité de leurs supermarchés à offrir une alimentation qui soit en accord avec leurs désirs. Pourtant, selon les chiffres officiels, près de trois quarts des Belges font leurs courses dans ces grands magasins. Comment, alors, interpréter cette différence criante entre nos idéaux et nos habitudes ? 


Il y a un an, nous clôturions notre enquête sur la consommation en milieu rural par un constat unanimement partagé : il est urgent de retisser des liens fermes entre les consommateurs et les producteurs. Désormais, comme l’ont dit à de nombreuses reprises les personnes interrogées lors de ce sondage, il est nécessaire que « nos jeunes sachent enfin que le lait ne vient pas de nos supermarchés mais de nos vaches ! »

Or, les campagnes wallonnes voient disparaître les exploitations agricoles les unes après les autres. En l’absence de ce contact avec la source de notre nourriture, le risque est grand que, d’ici peu de temps, les gens n’aient plus les connaissances suffisantes pour se réapproprier leur alimentation.

Cependant, cette même étude a conduit à un autre élément peut-être tout aussi fondamental : se réapproprier son alimentation demande d’aller au-delà du monde de la production. Pour comprendre ce qu’il y a dans notre assiette, il faut également connaître ceux qui nous fournissent notre nourriture. Nous sommes tous dépendants de l’offre proposée par nos magasins. C’est eux, en réalité, qui définissent notre alimentation. En contrôlant cette offre, ils dictent aux agriculteurs ce qu’ils doivent produire et décident ce que nous achetons.

Finalement, nos supermarchés et, plus généralement, le secteur de la distribution tout entier sont des acteurs incontournables de notre alimentation et cela, on n’en parle pas assez souvent. Or, tout le monde a une idée précise sur la question. C’est ce que nous avons voulu vérifier en menant une nouvelle enquête auprès des consommateurs du milieu rural wallon.

Un futur sans supermarchés ?

« Les supermarchés se remplissent les poches sur le dos de nos agriculteurs. » Ces propos sont, en substance, assez largement partagés par les personnes que nous avons rencontrées lors de cette enquête. En outre, à plus large échelle, une étude de 2013, commandée par les mutualités socialistes, a montré que seulement 7% des consommateurs ont confiance dans la grande distribution. Ainsi, plus de neuf personnes sur dix expriment des doutes quant à la capacité des supermarchés à répondre à leurs attentes.

Si l’on se fie à ces seuls éléments, la conclusion de l’étude peut être rapidement dressée : les consommateurs wallons ne veulent plus de la grande distribution et l’avenir appartient donc aux autres types de commerce. Pourtant, comme toujours, les choses ne sont pas si simples. La population n’est pas si catégorique et ses attentes sont bien plus nuancées que cela.

À l’heure actuelle, bien que cela soit paradoxal au vu de cette défiance à l’égard de la grande distribution, près de trois personnes sur quatre font leurs courses dans les grands magasins. Et cela, les consommateurs sondés en sont bien conscients. « Tout n’est pas rose dans les grandes surfaces mais il faut quand même bien avouer qu’elles vendent de la qualité à des prix abordables. Je ne saurais pas faire mes courses ailleurs. »

Cette position mitigée entre rejet idéologique et acceptation pragmatique définit également la position qu’occupera la grande distribution à l’avenir. Il est hors de question, en effet, de voir disparaître les supermarchés du paysage de la distribution de demain. Les personnes sondées ont été très claires à ce sujet. Ces magasins sont nécessaires et feront, dans le futur, encore bel et bien partie de nos habitudes quotidiennes. Leur rôle sera alors, comme aujourd’hui, de fournir des produits variés à des prix compétitifs.

Malgré tout, selon les consommateurs rencontrés, leur importance sera sérieusement revue à la baisse. D’environ 70% de part de marché à l’heure actuelle, la grande distribution diminuera à 19,5%. En réalité, elle deviendra une solution complémentaire à d’autres formes de commerce actuellement très marginales comme les petites épiceries indépendantes de proximité mais surtout les halles et marchés, les coopératives d’agriculteurs, les GAC, etc.

« L’avenir est au local »

La montée en puissance de ces halles, coopératives, magasins à la ferme, etc. tient dans un élément central de nos habitudes de consommation à l’avenir: la relocalisation de notre alimentation.

Demain, on voudra avoir accès à une nourriture locale plus aisément. Les attentes des personnes rencontrées étaient limpides : « on veut pouvoir trouver facilement des produits locaux et soutenir nos agriculteurs. » C’est d’ailleurs à cela que s’évertue actuellement la plupart des grandes enseignes de supermarché.

Pourtant, ces derniers ne sont pas amenés à devenir le principal fournisseur de produits locaux. Leur politique de prix bas va à l’encontre d’un élément fondamental de la relocalisation alimentaire souhaitée par les consommateurs sondés : la garantie d’une juste rémunération des producteurs régionaux.

Si manger local est une volonté absolue des citoyens, l’idéal, à leurs yeux, c’est que cette consommation de produits régionaux vienne soutenir leurs agriculteurs. De cette manière, leur sensation de soutenir les producteurs locaux sera plus forte si « les magasins ne font par leur beurre sur le dos des travailleurs » et que la totalité du prix d’achat revient aux fermiers.

Le modèle de distribution qui s’imposera alors ne sera donc plus la grande distribution ni même les petits magasins locaux mais bien la vente directe des producteurs aux consommateurs telle que la proposent les coopératives, les GAC, les magasins à la fermes, etc.

Cependant, il est important de souligner que cette volonté de soutien aux agriculteurs n’est pas inconditionnelle. Consommer local, oui ! Mais pas n’importe comment. Les produits régionaux ne peuvent devenir, sous prétexte de soutenir l’agriculture locale, des articles de luxe hors de prix. Il est crucial que l’on puisse offrir des articles de qualité qui soient à des prix attractifs.

En d’autres termes, si les consommateurs sondés sont prêts à soutenir les producteurs, ils ne sont pas enclins à le faire les yeux fermés. Alors que les premiers achats en vente directe sont généralement guidés par une volonté absolue de soutien, la fréquentation régulière de ces modes de distribution entraîne un rééquilibrage de la relation commerciale et la remise à l’avant-plan de critères classiques comme le prix.

Les produits locaux doivent, aux yeux des participants, rester impérativement des produits populaires et accessibles. « Il ne faut pas que les produits locaux deviennent comme les produits bio. » De leur point de vue, ils doivent se distancier des produits bio, de plus en plus malmenés tant pour leur prix que pour leur garantie de qualité. Alors, qu’ils ont incarné une alimentation saine et respectueuse de la terre pendant ces dernières décennies, ceux-ci devront laisser leur place à des formes de garantie de qualité plus subjective telles que le caractère local de la production ou encore la relation personnelle entre le producteur et le consommateur. « Ce n’est pas que je ne veux pas de produits bio. Mais il me faut autre chose. J’ai plus confiance en la qualité des produits si je sais qu’ils viennent de ma région et des fermiers que je connais. »

On le voit, contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, les habitants du milieu rural ne se contentent pas de suivre simplement la tendance. Ils ont beaucoup à dire. Tellement, d’ailleurs, que lors de nos rencontres, il était parfois difficile de les arrêter. Ces témoignages hauts en couleur font d’ailleurs le sel de cette étude dont cet article n’est qu’un aperçu forcément trop limité.

Corentin de Faverau
Article publié dans Plein Soleil n°806 (janvier 2016), la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rurale asbl

En savoir plus :

« Vous ne ferez plus vos courses comme avant » – enquête complète sur le site www.acrf.be

Un commentaire sur “Vous ne ferez plus vos courses comme avant”

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