Il semble intéressant d’avoir un potager à l’école pour pouvoir expliquer aux enfants comment les choses poussent, que l’on peut apprendre à travailler la terre autrement que de manière industrielle, que l’on peut récolter des fruits et des légumes à la main et qu’il ne faut pas nécessairement les acheter dans les grandes surfaces, qu’il ne faut pas nécessairement utiliser des pesticides pour cultiver des légumes. C’est une manière plus facile et plus concrète pour les enseignants et les parents d’expliquer aux enfants qu’en mangeant plus de légumes et de fruits que l’on a cultivé soi-même on contribue non seulement au fait d’avoir une bonne santé mais aussi à la sauvegarde de notre planète. Apprendre à jardiner serait-il le tremplin pour apprendre des tas de compétences ? Faciliter les apprentissages scolaires grâce à un projet tel que le potager devient-il un enjeu de taille pour nos écoles ? En poussant notre réflexion plus loin, outre les bénéfices du potager sur les apprentissages, le potager permettrait-il des récoltes d’ordre social ? Le potager favoriserait-il aussi une socialisation de l’individu ? Le potager est-il source de « reliance» et de transmission ? Permettrait-il, à l’échelle sociétale, une intégration des plus faibles, des plus vieux, des plus fragilisés ? Permettrait-il (comme la pédagogie du projet) de (re)motiver et mettre en situation de réussite des élèves en difficultés ? Permettrait-il une solidarité entre les enfants, entre les ainés et les plus jeunes, entre la famille et l’école ? Le potager permettrait-il aussi de faire venir à l’école des parents que l’on voit moins? Voici d’autres enjeux scolaires et sociétaux importants qui méritent d’être explorés.
Les projets « potagers à l’école » sont-ils liés à la problématique environnementale ?
Selon Christophe Dubois, du Réseau Idée[2], « Ce regain d’intérêt peut en effet partir d’une conscience environnementale croissante dans le chef de certains enseignants, qui, comme chacun de nous, entendent de plus en plus parler de la crise environnementale, des problèmes liés notamment à notre alimentation, et des alternatives à notre portée pour concrétiser une autre façon de vivre, plus respectueuse de la planète et de ses habitants. Mais il y a surtout, je pense, une motivation pédagogique. Pour de nombreux enseignants que j’ai rencontrés, le jardin, c’est l’école de la vie. L’intérêt, c’est de sortir des murs de l’école. De découvrir les cycles de la nature et l’alimentation non pas avec la tête, mais avec les mains et le cœur. De réaliser toutes les étapes, de la graine à la dégustation. Cela est ensuite exploité en classe: dessiner le potager, faire des calculs de surface, écrire ou raconter une histoire, travailler l’éveil scientifique, le cycle des saisons… Un potager d’école permet de développer de nombreux savoirs, savoir-être et savoir-faire. C’est un magnifique outil de pédagogie active. En outre, le potager est un moyen de (re)connecter les enfants à une nature dont ils sont de plus en plus éloignés. C’est, je pense, tout cela qui motive les enseignants ».
Le potager à l’école est-il récent ?
Apparemment, les « jardins scolaires » ne sont pas récents : «à la fin du XVIIIe siècle déjà, on voit apparaître des théories assurant un lien entre le développement humain et la conscience environnementale. Jean-Jacques Rousseau[3] et Johann Pestalozzi[4] estiment que le contact direct avec la nature est un facteur de sain développement de l’enfant. En 1911, Ferdinand Buisson[5], dans son Nouveau Dictionnaire de pédagogie, vante les mérites du jardin scolaire comme « élément d’instruction pour renforcer les indications fournies aux élèves dans les leçons relatives à l’agriculture ». (Buisson, 1911). Néanmoins, c’est avec l’émergence des pédagogies actives que le jardin scolaire prend tout son sens. Ovide Decroly[6], le premier, introduira le potager dans le contexte scolaire, comme outil d’apprentissage, comme laboratoire vivant engageant l’enfant-jardinier comme acteur de ses apprentissages. Freinet[7] prônera lui aussi le jardin scolaire comme milieu riche en observations concrètes sur le vivant, et lieu d’enracinement de l’enseignement scientifique dans l’activité technique»[8].
A l’école, qui peut impulser un tel projet?
A travers nos différentes visites et rencontres dans les écoles, nous voyons qu’il n’y a pas nécessairement besoin d’un grand terrain pour faire un potager à l’école ! En effet, certaines écoles se satisfont très bien d’un petit coin de pelouse, parfois de deux bacs en carré, de l’aménagement d’un toit,… L’idée de faire un potager à l’école provient parfois d’un ou de plusieurs enseignants, parfois de parents passionnés, parfois encore d’un groupe d’acteurs scolaires motivés. Exemple : Une réunion en Conseil de Participation (CoPA) au cours de laquelle on a discuté du projet d’établissement et du point qui concernait justement la problématique du respect à l’environnement. Une réunion d’association de parents au cours de laquelle on essaye de trouver un projet pour sensibiliser les enfants à « l’alimentation saine ». Le projet « potager » qui fonctionnera le mieux sera celui qui aura l’adhésion des différents acteurs de l’école car pour y participer, il faudra pouvoir compter sur les forces physiques, créatrices et intellectuelles de tous.
Un potager, un outil pour développer les compétences
Un potager à l’école est bénéfique, car il favorise les apprentissages. « Mesurer, calculer, savoir le nom des légumes et des fruits ainsi que leurs propriétés, tels sont des exemples qui montrent en quoi un potager favorise l’apprentissage. En effet, tout en bêchant un lopin de terre, en construisant un bac, en semant des graines ou en arrosant des plants, il est possible d’enseigner les mathématiques, les sciences, la géographie, le français et d’autres disciplines du programme scolaire »[9]. Il implique aussi des changements dans la capacité des enfants à identifier des fruits et des légumes et favorise une attention plus importante quant à l’origine des produits alimentaires.
Pour les élèves en difficultés scolaires, le potager à l’école peut être un projet enthousiasmant où ils pourront expérimenter des choses, se prouver qu’ils sont « capables », récupérer une estime d’eux-mêmes, se (re)motiver par le côté ludique et pratique. « Le contact étroit avec la terre leur apportera beaucoup ! Quoi de plus satisfaisant pour des enfants de voir que leurs efforts physiques et intellectuels ont été récompensés par une jolie floraison ou une heureuse fructification ou encore une impressionnante germination? La récolte est pour les enfants un aboutissement essentiel de leur travail », explique Joëlle Crabbé[10], maman participant au potager du Collège du Biéreau à Louvain-la-Neuve depuis de longues années.
« Sociologiquement, l’école est l’un des principaux creusets où s’acquièrent et s’inculquent les connaissances, les comportements, les attitudes, les valeurs et les savoir-faire de la vie quotidienne comme le sens des responsabilités, l’estime de soi, le goût du travail en équipe, l’aptitude à décider et à prévoir». (FAO[11], 2004). Si l’école est le creuset, le potager à l’école semble être l’outil parfait pour développer les compétences précitées.
Le potager à l’école est-il socialement intéressant ?
« Outre un terrain d’apprentissage botanique, alimentaire ou écologique, le potager peut également devenir source de reliance et de transmission »[12].
Le potager permettrait-il une socialisation de l’individu ?
Un potager peut-il favoriser les liens entre enfants ? Un potager peut-il faire naître de nouveaux liens sociaux jusque-là inexistants au sein de l’école ? Les jardins potagers ont généralement une grande importance pour la sociabilité des utilisateurs. Les enfants ont chacun un rôle à jouer : l’un travaille la terre, l’autre arrache les mauvaises herbes, un autre encore arrose, un autre plante… Des équipes aussi se forment et on y prône la solidarité. Les enfants communiquent et travaillent ensemble. « Des liens se tissent à l’occasion d’entraide (par exemple certains parents ou d’autres instituteurs viennent arroser le potager en cas d’absence) et d’échanges (entre élèves, entre élèves et instituteurs, entre instituteurs, entre instituteurs et parents, entre élèves et parents,…) et de partage des produits: «Il est important pour moi de susciter l’émerveillement, devant une graine qui donne un légume… A la fin du processus, nous organisons tous ensemble (l’instituteur, les élèves et moi) un repas avec les légumes récoltés. C’est un moment agréable et on voit comment on peut préparer ces aliments», explique Corinne Mommen[13]. On le voit, le potager revêt aussi une dimension conviviale et festive.
Un potager peut-il faire naître de nouveaux liens sociaux autrefois inexistants au sein de l’école ?
Dans certaines écoles, les élèves plus âgés accompagnent les plus jeunes élèves. Un système de parrainage s’installe au sein de l’école pour ce projet.
Des liens intergénérationnels peuvent également naître de ce projet. En invitant les parents à participer au potager, les enfants se réjouissent de pouvoir être accompagnés par des adultes autres que leurs professeurs. Certains grands-parents mettent aussi la main à la pâte et donnent de leur temps et de leur savoir-faire. Ils répondent aux besoins et aux questions des enfants. Les savoirs ancestraux ont parfois totalement disparu et cela fait du bien de les voir réapparaître. En effet, quelle fierté pour ces « anciens » de réanimer des pratiques de partage et d’échanges !
Pourquoi ne pas encourager davantage les écoles à inviter des personnes provenant de maisons de repos ou de maisons pour handicapés, etc… à participer à de tels projets ?
Le potager est-il source de « reliance» et de transmission?
« Outre générateur de sociabilité, le potager peut également être source de «reliance», telle que définie par le sociologue Marcel Bolle de Bal[14]. Selon lui, le concept de «reliance» possède une double signification conceptuelle: «D’une part, l’acte de reliance, c’est-à-dire l’acte de relier ou de se relier; d’autre part, l’état de reliance ou le résultat de cet acte». Dans ce cadre, «relier» signifie «créer ou recréer des liens, établir ou rétablir une liaison entre une personne et un système ou des sous-systèmes dont elle fait partie». Il énonce divers types de reliances possibles, notamment la reliance entre une personne et des éléments naturels: vivre sa reliance à la terre par exemple, y puiser une dimension de son identité (retrouver ses «racines»); mais également la reliance entre une personne et un autre acteur social, individuel (une personne) ou collectif (groupe, organisation, institution,…), nommée «la reliance sociale»[15]. Le potager permet aux enfants d’être reliés à la terre, aux autres élèves, aux différents acteurs scolaires (ex : un autre enseignant que son titulaire qui participe au projet, les enfants d’autres classes, des parents qui ne viennent pas nécessairement souvent à l’école ou qui y sont mal à l’aise mais qui sont enthousiastes à l’idée de donner un peu de leur temps et de leur savoir-faire, des grands-parents qui ne demandent qu’à partager…) et à certaines personnes extérieures à l’école (agronome, apiculteur, fermier, bibliothèque publique, home, institution pour personnes handicapées, acteurs du quartier…)
Potager et insertion sociale ?
Dans un quartier d’Anderlecht, un potager scolaire s’ouvre à d’autres acteurs de l’école. Un projet porté par Boris Pirlot, enseignant en classes passerelles, et Tina Verstraeten, animatrice à l’Institut de la Vie[16], une association de lutte contre l’exclusion sociale.
« Ce potager scolaire implique des élèves de secondaire du DASPA (dispositif d’accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants), à savoir des jeunes originaires de pays étrangers (Italie, Roumanie, Guinée…), arrivés en Belgique il y a peu. Les classes passerelles visent à aider ces jeunes dans leur apprentissage de la langue française et dans la découverte du système socio-culturel et scolaire belge. « Notre projet de potager scolaire n’a d’autre ambition que de favoriser les rencontres et de sensibiliser à la biodiversité et à l’alimentation saine à travers des gestes simples, explique Boris Pirlot. On ne fait pas de liens avec des cours de math ou de sciences, parce que tel n’est pas le but des classes passerelles. Mais l’année prochaine, on aimerait construire des nichoirs à insectes qui serviraient d’outils pédagogiques pour les activités d’éveil dans les classes du 1er degré». Autre projet à venir, afin d’élargir le jardin à d’autres acteurs de l’école : la réalisation d’un système de récupération des eaux et d’arrosage automatique (notamment pendant les vacances), en collaboration avec les élèves des sections plomberie et électricité. Ainsi que l’implication de la section artistique dans l’aménagement du potager. L’envie est aussi d’ouvrir cet espace aux acteurs du quartier. Quelques femmes qui suivent des cours d’alphabétisation ou de français avec l’Institut de la Vie y viennent déjà pour planter, entretenir ou simplement passer un peu de bon temps »[17].
Conclusion : Petits pépins au potager ?
Si le potager semble apporter énormément d’avantages aux apprentissages et permet aussi de récolter des bénéfices sociaux (solidarité, insertion sociale, entraide, partage, partenariat etc.), Christophe Dubois, du Réseau Idée, met tout de même en garde les écoles et les associations de parents qui voudraient se lancer dans un tel projet : « Cela dit, ce n’est pas si simple à mettre en place et surtout à maintenir au-delà d’une année. Cela demande certaines connaissances de la part des enseignants et de l’organisation, notamment pour faire coïncider le rythme des légumes et le rythme scolaire (éviter les légumes qui doivent être récoltés en été). L’option la plus adaptée est sans doute celle du potager en bac ». C’est aussi l’avis de Joëlle Crabbé[18]: « Il faut pouvoir compter sur une équipe solide de parents pour participer à ce projet et à un partenariat de la part de l’école. Pendant que certains parents s’occupent des enfants pour planter ou désherber, d’autres peuvent les faire dessiner ou peindre ce qu’ils observent, d’autres peuvent encore explorer des livres sur le sujet. La plupart des fruits et légumes se récoltent pendant les mois de juin, juillet, et août. Or, c’est justement à cette période, que les enfants ne sont pas là pour voir le résultat de leurs plantations. Il y a aussi moins de parents pour arroser, retourner et nettoyer la terre à cette période. C’est un projet qui doit être considéré sur du long terme avec si possible une grande implication de la part des enseignants qui doivent préparer la visite au potager et prolonger ce qui est vu sur le terrain dans leurs cours. Cela demande aussi parfois une collaboration des parents et d’acteurs extérieurs à l’école (voisinage, grands-parents,…) qui ne sont pas toujours si faciles à réquisitionner… Mais quand tout le monde s’y met, c’est un projet humain formidable ! ».
France Baie, UFAPEC
Analyse de l’ UFAPEC , publiée en février 2016
[1] La COP21 a eu lieu du 30 novembre 2015 au 12 décembre 2015 au Bourget en France.
[2] Interview de Christophe Dubois, le 25 janvier 2016, http://www.reseau-idee.be/ – lien vérifié le 23 janvier 2016
[3] Ecrivain, philosophe et musicien genevois francophone – https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Jacques_Rousseau – lien vérifié le 2 février 2016
[4] Pédagogue éducateur et penseur suisse, pionnier de la pédagogie moderne - https://fr.wikipedia.org/wiki/Johann_Heinrich_Pestalozzi – lien vérifié le 2 février 2016
[5] Philosophe, éducateur et homme politique français, cofondateur et président de la Ligue des droits de l’Homme, président de la Ligue de l’enseignement et le prix Nobel de la paix - https://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_Buisson - lien vérifié le 2 février 2016
[6] Médecin, psychologue et pédagogue belge – https://fr.wikipedia.org/wiki/Ovide_Decroly – lien vérifié le 2 février 2016
[7] Pédagogue français – https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9lestin_Freinet – lien vérifié le 2 février 2016
[8]C. Lhoir: «Des politiques cohérentes pour soutenir les jardins scolaires» – http://www.etopia.be/IMG/pdf/r7_lhoir_web.pdf – lien vérifié le 27 janvier 2016
[9]http://www.cere-asbl.be/IMG/pdf/12_Potager_a_l_ecole.pdf – lien vérifié le 14 décembre 2015
[10] Interview d’une maman – le 26 janvier 2016
[11] C. Lhoir: «Des politiques cohérentes pour soutenir les jardins scolaires» – http://www.etopia.be/IMG/pdf/r7_lhoir_web.pdf – - lien vérifié le 27 janvier 2016
[12] http://www.cere-asbl.be/IMG/pdf/12_Potager_a_l_ecole.pdf- lien vérifié le 14 décembre 2015
[13] Corinne Mommen est animatrice et formatrice au sein de l’humus asbl :
http://www.humusasbl.org – lien vérifié le 2 février 2016
[14] Marcel Bolle De Bal, «Voyages au cœur des sciences humaines de la reliance», éd. L’Harmattan, 1996, pp.323.
[15] http://www.cere-asbl.be/IMG/pdf/12_Potager_a_l_ecole.pdf- lien vérifié le 14 décembre 2015
[16] http://www.ulb.ac.be/assoc/iv/info.html - lien vérifié le 16 décembre 2015
[17] C. Teret, Roquette, français et rencontres – Magazine Symbioses –2014 – Réseau Idée n°103 p.11
[18] Interview d’une maman participant au potager du Collège du Biéreau à Louvain-la-Neuve depuis de longues années – le 26 janvier 2016