Nous avons assisté ces vingt dernières années au développement d’un véritable marché scolaire. Des écoles décrétées « bonnes » par la rumeur. Des files pour y inscrire les mômes. En ville, cela se produit déjà pour les inscriptions en maternelle ! Et assez curieusement, ces « bonnes » écoles sont presque toujours de « grosses » écoles, fréquentées par des centaines d’élèves. Comme si la masse, le nombre étaient synonymes de qualité. C’est devenu un peu comme si, dès l’entrée à l’école maternelle, le souci majeur de beaucoup de parents était de préparer les enfants à l’université ! Et certains de réclamer des devoirs pour les tout-petits et de se réjouir d’une bonne dose de « saine » compétition, parfois avec bulletins et classements.
Résistance
Cette évolution provoque heureusement des résistances. Même si le mouvement est encore timide, de plus en plus de parents songent à prendre eux-mêmes en charge la scolarité de leurs enfants. Ce qui n’est pas à la portée de tout le monde et risque de priver ces gosses d’une dimension capitale de l’école : l’apprentissage de la vie en groupe, de la découverte et du respect des différences, de la socialisation. D’autres parents se regroupent et s’organisent pour ouvrir de nouvelles écoles inspirées des pédagogies de Steiner, de Montessori, de Freinet, … Les résistants ont en commun de refuser le formatage, la compétition, la multiplication des évaluations, l’abandon des activités artistiques et créatives, la violence des grands ensembles, …
Retour aux sources
Mais on assiste aussi ces dernières années à une sorte de « retour aux sources » dans plusieurs domaines. On s’organise pour sauver l’épicerie du village. Les circuits courts et les monnaies locales ont le vent en poupe. Des producteurs s’organisent en réseaux pour distribuer leurs produits de qualité et offrir aux consom’acteurs autre chose que les files aux caisses des grandes surfaces.
L’école au milieu du village peut participer de ce mouvement. Il ne s’agit évidemment pas de refuser systématiquement les innovations, de se barricader dans un passé révolu et de priver les enfants des acquis positifs de la modernité. Au contraire, dans de petites équipes, les enseignant-e-s se mettront plus facilement d’accord pour innover dans la cohérence. Et ce qui fera la force de ces petites communautés, c’est la qualité de la vie collective, ce sont les valeurs partagées et vécues au quotidien. C’est l’insertion naturelle dans la communauté villageoise.
Par exemple
Les classes « verticales » qui regroupent des élèves d’âges différents – que ce soit la classe « unique « (de la 1ère à la 6ième) ou d’autres regroupements (1-2-3/4-5-6) – permettent de développer l’autonomie, la coopération, la confiance en soi. On y perçoit un tout autre climat que dans des classes de 25 élèves tous tournés vers le maître. Pensez aussi aux cours de récréation. Les disputes sont sans doute inévitables, mais elles se règlent autrement dans les petits groupes. Côté apprentissages, on respectera aussi davantage le rythme de progression de chaque enfant. Fini le couperet annuel et la crainte du jugement-sanction : « Qu’est-ce que tu as appris avec Monsieur Z ? »
Dans un village, les parents et les grands-parents ne sont pas des inconnus. On peut les atteindre facilement quand on ne les rencontre pas tous les jours. La communication est aisé et les collaborations souvent nombreuses. C’est leur école, à eux aussi ! Avec, il est vrai, parfois, un risque de mélange des rôles… Evoquons encore l’accrochage à un patrimoine, à une histoire qui donne des racines bien nécessaires dans un monde globalisé où l’indispensable ouverture aux autres, à l’étranger, risque de ne pas se réaliser faute de la sécurité qu’assure un ancrage solide. Pas de repli sur soi, pas de communautarisme, mais la conscience « d’être né quelque part ».
Des humanités primaires !
On ne parle plus des « humanités » pour les études secondaires. C’est révélateur de la dominante utilitariste qui s’est petit à petit imposée au détriment des valeurs et des contenus plus gratuits, plus humains ! Mais l’école primaire n’échappe pas à cette pression utilitariste. La question incontournable sera posée : « C’est beau tout ça, mais le niveau de l’école au village, qu’est-ce que vous en faites ? ».
La question est intéressante. D’abord pour signaler que ce fameux « niveau » baisse depuis …l’Antiquité ! Platon et Aristote se lamentaient déjà. Plus sérieusement, on ne se met pas facilement d’accord sur ce qui se cache derrière ce terme des plus flous. A supposer qu’il s’agisse de bases en langue française et dans les opérations mathématiques courantes, nul n’osera prétendre que ces fondamentaux sont moins bien acquis dans les écoles de village. Mais on ajoutera que les enfants y développent bien d’autres acquis évoqués précédemment, des acquis qui ne s’évaluent pas en cotations chiffrées ou par des « vrai ou faux ».
Au total, le choix de l’école au village est un choix de société. Il ne peut se réduire à comparer des avantages matériels ou des « niveaux ». C’est d’abord choisir de respecter l’enfance dans l’enfant. Choisir un cadre apaisant, la proximité. C’est préférer la dimension familiale à des ensembles plus grands et plus impersonnels. C’est valoriser la coopération plutôt que la compétition. C’est privilégier l’ancrage humain et chaleureux.
Pour garantir la pérennité de l’école au village, tout le monde doit s’y mettre, pas seulement les instits. Les parents doivent résister aux sirènes de la ville et du marché scolaire. Les communes doivent tempérer les concurrences et assurer l’égalité entre les écoles. Les citoyens et les associations locales doivent s’engager à épauler les équipes éducatives pour des activités créatives, la découverte du patrimoine, des fêtes conviviales, … Un fameux chantier avec bien du bonheur à la clé !
Jacques Liesenborghs
Article paru dans Plein Soleil n°810 (mai 2016), la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rural
Photo : Face à la montée des « gros » établissements scolaires, de plus en plus compétitifs, de petites écoles rurales proposent des alternatives (crédit Maïder Dechamps).