Samuel Hubaux est sociologue et anthropologue. Avant d’être actif au sein de « Nos oignons », il a travaillé dans le secteur de la santé mentale en tant qu’accompagnant pyscho-social. « Le Club Antonin Artaud est un centre de jour pour des adultes en souffrance psychique ; il est situé à Bruxelles. J’y organisais notamment des activités artistiques. » Le jeune animateur est passionné par son job mais il n’a pas oublié la convivialité découverte dans les groupes d’achats en commun (GAC) fréquentés dans le cadre de la préparation de son mémoire de fin d’études.
Quitter une forme d’enfermement
Il a envie de sortir de la ville et du cadre institutionnel. Mais il est difficile de trouver des lieux structurés d’accueil en dehors des institutions de soins et celles-ci sont coincées entre les injonctions à l’efficacité et les possibilités d’insertion limitées. Or, l’isolement et la marginalité sociale et professionnelle constituent de réels problèmes. Il faut donc imaginer des alternatives en tenant compte du contexte social instable et peu rassurant, en particulier pour les plus fragilisés. Samuel Hubaux réfléchit avec un collègue et une psychiatre à des sorties hors de la ville avec les patients mais où aller? Un ami, agronome et maraîcher, est justement en train de s’installer dans une ferme. Il invite animateurs et patients à venir le rejoindre. Un coup de main pour planter des haies est bienvenu. L’expérience est concluante. Ils créent l’asbl « Nos oignons ».
Un potager collectif pour retrouver confiance en soi
Aujourd’hui, elle propose, une fois par semaine, des ateliers collectifs de jardinage en entreprise agricole à Nethen, un village du Brabant wallon. « Il s’agit d’un échange de services entre participants et entreprises familiales. En échange d’une aide, les agriculteurs mettent à disposition une parcelle réservée à un potager collectif, du matériel et des semences. Ils prodiguent aussi des conseils et transmettent leur savoir-faire. Les légumes cultivés sur cette parcelle reviennent aux participants. » L’animateur précise : « Nos oignons » n’est pas un service de soins mais nous travaillons en partenariat avec des institutions agréées. Notre but est de produire des aliments mais également de veiller au mieux-être des participants en vue de leur réinsertion dans la société.
Après ce passage, certains reprendront une activité mais c’est une minorité, d’autres deviendront volontaires dans des associations comme cette maman en burn-out qui, après être passée chez nous, s’est investie dans le potager collectif de son quartier. D’autres encore ne pourront jamais (re)travailler. Le travail de maraîchage est exigeant et complexe à gérer et les personnes auxquelles nous nous adressons connaissent des difficultés psychologiques variées : dépressions, psychoses, burn-out, assuétudes… Les trois premières années, nous avons seulement pris en charge des patients du Club Antonin Arthaud. En 2015, l’asbl a établi des liens avec un deuxième centre de jour bruxellois et le centre de santé mentale du Brabant wallon. »
Une personne de l’asbl accompagne toujours les participants. Elle est aidée par des volontaires. Il s’agit souvent de jeunes qui terminent leurs études d’assistants sociaux, de psychologues ou autres. Ils s’engagent pour une période et sont libres de partager ou non leur histoire. « Il est important pour nous que les groupes soient diversifiés. Cela permet de sortir d’une stigmatisation de la maladie mentale. Les patients doivent aussi pouvoir agir selon leur rythme, on ne peut pas mettre la pression sur des personnes déjà affaiblies. Le jeudi, une camionnette quitte Bruxelles vers 9h30. Certains, qui s’étaient engagés à partir avec nous, ne sont pas au rendez-vous. Se préparer pour se rendre au potager implique de quitter un rythme parfois décalé et ce n’est pas toujours facile. Ceux qui y arrivent témoignent de leur satisfaction. Ce travail sur le terrain leur apporte une détente. Ils retrouvent aussi confiance en eux et peuvent se tester avant de reprendre un boulot. »
Le respect du rythme va très loin puisqu’il est possible de participer aux ateliers … en faisant la sieste. « Certains amènent leur oreiller et s’installent sous un cerisier, l’été. Quand il pleut, ils se réfugient dans notre roulotte chauffée. A un moment ou l’autre, ils mettront les mains dans la terre. » La roulotte appartient à l’asbl, elle a été rénovée au cours des ateliers et est bien équipée : cuisinière, poêle à bois…
Pour aller plus loin : des stages
Parallèlement aux ateliers collectifs hebdomadaires, l’asbl accompagne les participants dans leurs projets individuels en dialogue avec les institutions de soins partenaires. Cela se traduit par des stages d’insertion agricole. « Nous nous sommes inspirés du modèle flamand qui prévoit l’accompagnement de personnes en soins par des agriculteurs. 800 fermes sont actuellement membres de l’organisation Steunpunt Groene Zorg, établie à Leuven. Une convention est signée par les différentes parties et les entreprises agricoles deviennent dans ce cadre des fermes de soins. On n’en est pas là en Wallonie.»
Si les activités de l’asbl apportent leur lot de satisfactions aux patients et aux agriculteurs, on peut se demander ce qu’il en est des animateurs. Après un moment de réflexion, Samuel Hubaux répond : « Cela m’apaise de me dire qu’il est possible de participer à la revalorisation du métier agricole et de fournir une aide aux agriculteurs qui traversent une période difficile. Quand nous faisons avec eux le bilan des rencontres, ils insistent sur l’aide substantielle qui leur est apportée à certains moments de l’année comme lors des plantations, par exemple. Ils insistent aussi sur le soutien moral et affirment que rencontrer un groupe chaque semaine leur met du baume au cœur. »
Anne Vanhese
Article paru dans Plein Soleil 809 (avril 2016), la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rural
Photo: Travailler la terre aide ceux qui participent aux ateliers à reprendre pied dans la réalité. (Photo Koen Bros)
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