Le cycle 2 joue un rôle déterminant dans l’apprentissage de la lecture qui ne peut se limiter à l’enseignement du code. Lire, c’est aussi et surtout se poser des questions, confirmer ou infirmer des hypothèses, comprendre. Pour développer ces compétences, j’ai décidé de mettre en place un dispositif centré sur le plaisir de lire. C’est parti pour un club de lecture au sein d’une école en D+ (discrimination positive), avec 25 élèves de deuxième primaire !
Tel un processus de tissage !
« L’apprentissage de la lecture ne peut se limiter à l’enseignement du code. »
Avant tout projet, il me semble essentiel d’annoncer l’objectif visé afin de permettre à chaque enfant de prendre conscience de ses apprentissages. C’est pourquoi, je l’ai expliqué à mes élèves: «Nous allons mettre en place une nouvelle activité afin d’aider chacun à devenir un bon lecteur, un grand dévoreur de livres. » (rire des élèves) De plus une première discussion à travers la question «Mais qu’est-ce qu’un club de lecture? » a été menée de manière collective. Quelques élèves ont pris la parole pour donner des réponses du type: « Chacun doit lire son livre.», « Il faut raconter l’histoire.», « On peut montrer des images, comme vous, madame? » Enfin, nous avons défini le club de lecture comme étant un dispositif qui donne la parole à chaque élève pour qu’il puisse partager sa passion de la lecture au sein d’un groupe. « Et de quoi pouvons-nous parler exactement? » C’est à la suite d’une série de questions-réponses qu’une première liste d’idées a été établie: des héros (leurs caractéristiques, leurs émotions, leurs ressentis), de ce que les personnages nous évoquent, de l’histoire (des passages préférés, des évènements marquants), des illustrations (coups de cœur), de la présentation (1re et 4e de couverture). Mais attention, nous ne pouvons jamais raconter toute l’histoire.
Des fils tendus et parallèles
Tenant compte du profil de ma classe ainsi que des pratiques menées auparavant, j’ai laissé mes élèves former leurs groupes. Je pense que c’est intéressant de va ier les techniques de formation de groupes tout au long de l’année. À cinq, les élèves ont réfléchi sur la question: «Y a-t-il des règles à respecter lors d’une discussion en petit groupe?» Certains ont fait des dessins et d’autres ont préféré les noter. Lors d’une mise en commun, nous avons rassemblé toutes les idées sur un panneau. Les interactions étaient riches, les enfants ont argumenté leurs choix pour se mettre d’accord sur des règles « communes » : s’assoir correctement, être aimable avec tous les amis, parler (mais pas en même temps), écouter tout le monde, respecter l’avis des autres, participer, encourager ceux qui ne parlent pas beaucoup. ce projet. Le professeur avec qui je collaborais travaillait avec une moitié du groupe-classe, dans un autre local, pendant que le club de lecture avait lieu. Toutes les trois semaines, des tournantes étaient organisées. Parfois, c’était durant le temps de midi, mais les élèves y venaient « en courant »! Ces moments étaient tellement conviviaux… la plupart du temps, on rigolait un bon coup ! Le lieu était choisi par le groupe. Toujours en «cercle», soit sur les coussins bien confortables de notre bibliothèque, soit sur les chaises en classe, ou encore dans la cour lorsque le soleil était aussi au rendez-vous !
Aissa: Et !!! Vous avez vu le chat, il est à l’envers, c’est drôle.
Darlin: Moi j’aime pas les dessins.
Mamoudou: Pourquoi tu n’aimes pas? C’est beau.
Darlin: Regarde, ce sont les oreilles qui sont mal dessinées.
Hadja: C’est écrit «chien méchant» en rouge. Ils vont se disputer ?
Mamoudou: Non, je vais vous lire mon passage préféré.
« Car désormais si vous passez
Par ce jardin aux cent parfums
Et sans danger
Vous les verrez toujours ensemble
Le chat
Le chien
Le jour La nuit.»
Hadja: Ça ressemble à un poème.
Choix du tissu à la demande !
J’ai collaboré avec un bibliothécaire qui a rassemblé, pour ma classe, une trentaine de livres sur le thème de l’amitié. La lecture thématique est une bonne approche car elle permet de faire des liaisons et des comparaisons entre les histoires. Des œuvres d’auteurs incontournables ont été placées sur la grande table pour laisser libre choix au groupe-classe ! Voilà, mon premier émerveillement: des yeux curieux et un grand silence… La classe lit, même Andreï, mon petit turbulent, emporté par l’effet contagion !
Et hop ! Club time !
Cindy: « Un ami à ma porte », c’est le titre. L’auteure est Clara Linders, c’est écrit ici. Sur la couverture, vous voyez déjà les personnages principaux.
Mamoudou: Et, j’aime bien ! Ils sont rigolos. Il y a un hérisson… et l’autre animal s’appelle comment ?
Hadja: Moi, je ne sais pas aussi.
Cindy: C’est un blaireau. Les amis, dans le livre, j’ai bien aimé quand Anselme, le blaireau donne ses cartes d’invitation à ses amis. Je vais vous montrer une image que j’ai fort appréciée.
Darlin: C’est une invitation de quoi ?
Cindy: Pour son anniversaire.
Darlin présente…
Darlin: Mon livre c’est « Mon ami Jim ». L’auteur est Kitty Crowther. Moi, je vais vous montrer une partie trop drôle ! Là, ils éclatent de rire. Je ressens comme si j’étais dans le livre. (Rires de Darlin et du groupe…). Le
village de Jim est beau. Dans mon livre, on parle de deux amis.
Cindy: Chez toi aussi…
Darlin: Oui.
Hadja: Comment Jim a fait pour avoir un ami ?
Darlin: Plein de choses. Il a défendu Jack. C’est de l’amitié. Instit. (en dehors du cercle, relance) : Et pour vous, l’amitié c’est ? (petite discussion sympa pour ensuite reprendre) Au tour de Mamoudou…
Mamoudou: Moi j’ai lu « Le chat Machin». Ce livre a été créé par Marcus Malte et Candice Hayat. Ça parle d’un chat et d’un chien.
Aissa: Ils s’appellent comment?
Mamoudou: Pacha et Machin.
Cindy: Comment ils se sont connus ?
Mamoudou: Je vais montrer
Pour terminer en beauté
Le groupe s’échange les livres. Souvent, certains d’entre eux gagnent une popularité grâce à l’impact des petits présentateurs! Cela facilite tellement la découverte personnelle. Les enfants, ayant un avant-gout, se lancent plus facilement dans la lecture. Dans certains cas, l’appropriation est trop importante. Il m’est déjà arrivé de voir des élèves échanger leur livre avec des larmes, ou rappeler avec fierté, durant la lecture collective, que le livre leur appartenait. En début de première, 10 élèves sur 25 n’avaient pas de livres à la maison. Il ne faut pas perdre de vue que l’organisation de cette activité nécessite une maitrise du contenu de tous les albums proposés afin d’aider les élèves à découvrir ce support complexe. Un travail méticuleux est donc organisé par l’enseignant, modèle important de l’enfant. Dans mes pratiques, en parallèle au club de lecture, chaque semaine, je lis un des albums déjà présentés à la classe. Je peux vous dire que la différence en terme d’attention est apparente lorsque l’enfant a une connaissance du livre. De plus, il apprend à l’aborder. Enfin, ces interactions ont permis à beaucoup d’enfants de reconnaitre les œuvres de certains auteurs, de développer un esprit critique, d’avoir un point de vue beaucoup plus affirmé!
Mine Bilge
Article publié dans Traces de Changements 224, janvier et février 2016
J.Giasson propose des grilles qui permettent de porter un jugement global sur les comportements observés durant la discussion dans le livre « Les textes littéraires» (De Boeck, 2005).