Imagine, presse lenteReportages

10 novembre 2016

Engagé et indépendant, le magazine Imagine propose des sujets liés aux enjeux de société, à l’écologie et aux rapports Nord-Sud. Ce bimestriel se revendique aussi « Slow Press ». Véritable pied de nez à l’immédiateté de l’actu, cette philosophie de la lenteur transparaît au fil des pages et s’exerce au cœur même du métier de journaliste. Hugues Dorzée, rédacteur en chef d’Imagine, nous en parle.

Imagine, en chiffres…
- 100 pages
- 5 grandes rubriques
- 1 numéro tous les 2 mois
- 118 numéros sortis (à ce jour)
- 20 ans d’existence (depuis 1996)
- 4 salariés, dont 3 journalistes
- 1 graphiste et 1 correcteur indépendants
- environ 20 collaborateurs réguliers ou occasionnels (journalistes, photographes, illustrateurs…)
- près de 4000 abonnés et une audience estimée à 25 000 lecteurs en Belgique francophone

La couverture d’Imagine est estampillée « Slow Press ». En quoi votre magazine s’inscrit dans ce mouvement prônant une qualité qui prend du temps ?

D’abord, une périodicité lente : Imagine sort tous les 2 mois, donc 6 fois par an. Dans le rapport temps, on est tout à fait hors de l’emballement médiatique, de la notion d’urgence et du flux continu de l’information.
Imagine a de la consistance et les enjeux abordés traversent le temps. Cela permet au lecteur de s’installer dans un dossier de 10 pages, de le laisser de côté, pour y revenir peut-être quelques semaines plus tard. L’une de nos rubriques s’intitule d’ailleurs « Prendre le temps » et propose aux lecteurs notamment de grands entretiens de personnalités. Imagine ne se dévore donc pas d’un seul coup, il se déguste progressivement.
C’est aussi un bel objet graphique, en cohérence avec le manifeste du Slow Media, qui attache de l’importance à ce que l’objet soit matérialisé et disponible à un prix relativement démocratique.
Par ailleurs, il y a l’idée de communauté, de lecteurs et de valeurs. Nos lecteurs ne sont pas des consommateurs mais des citoyens consom’acteurs. Le fait d’adhérer à un média comme le nôtre est une forme d’engagement de leur part. Nous proposons un magazine engagé, portant un regard libre, non conformiste et prospectif afin d’anticiper les mouvements de société. Pour reprendre l’idée d’un des fondateurs de ce mouvement : « Derrière le Slow Media, il y a des hommes et ça se sent ». Nous sommes des artisans, proposant de l’information avec modestie, rigueur, bonne intelligence et humanité.

Une philosophie présente aussi dans vos choix éditoriaux.

En effet, nous ne courons pas après le scoop à tout prix. Dans un monde de plus en plus complexe, nous nous inscrivons dans la ligne de ces médias qui aident à décoder, à mettre en perspective, à comprendre… C’est ce journalisme-là que prône la Slow Press. Des enjeux essentiels doivent être mis en avant : inégalités sociales, urgence climatique, migrations, désenchantement citoyen, économie déshumanisée… Ces enjeux, la presse mainstream passe parfois à côté. Imagine défend un journalisme constructif, proposant solutions et alternatives, ce qui n’empêche pas de dénoncer et de critiquer.

Prenez-vous aussi le temps dans la pratique de votre métier de journaliste?

Pour avoir une information de qualité, il faut des journalistes qui aient le temps, qui aient une certaine disponibilité pour pouvoir aller sur le terrain, à la rencontre de gens, lire des choses… La notion de temps est capitale dans le bon journalisme ! Pourtant, actuellement, le statut de journaliste se détériore très fort. Le statut social d’abord, il y a de moins en moins de contrats salariés et les journalistes indépendants sont très mal payés. Et en terme de conditions de travail, on donne de moins en moins de temps aux journalistes, on leur en demande toujours plus, ils sont de moins en moins spécialisés, ils doivent faire de plus en plus de choses différentes, écrire pour le journal papier, être actif sur le web… Notre équipe est composée de 3 journalistes salariés, c’est important en terme de confort de travail. Et une périodicité de 2 mois permet aux journalistes de prendre le temps d’aller au fond des choses.

Magazine indépendant
Imagine est asbl indépendante composée de 5 salariés. Ceux qui fabriquent le magazine, gèrent aussi l’asbl. Le CA regroupe des membres de la rédaction et quelques personnes extérieures. Pas d’actionnaires à qui il faut rendre des comptes, donc. Cette forme d’autogestion permet une liberté d’action dont peu d’organes de presse disposent encore aujourd’hui.
Côté financements, 60% des recettes d’Imagine sont des recettes propres, provenant de la vente des numéros et des abonnements. Quelques recettes publicitaires aussi, triés sur le volet pour que les annonceurs répondent à des critères éthiques en cohérence avec les valeurs du magazine. Imagine dispose également d’une aide à la presse périodique et d’un soutien financier du CNCD 11.11.11. pour son volet Nord-Sud.

Dans une société de l’accélération de l’information, adopter le mode slow ne vous laisse pas parfois en marge ?

Le temps médiatique ambiant, les réseaux sociaux… tout cela c’est du 24h/24. Donc, oui, la question se pose pour nous… Actuellement, on a un site internet qui nous sert de vitrine, avec des débuts d’articles qui donnent envie au lecteur d’aller plus loin en achetant le magazine. Mais on n’a pas vocation à avoir un site qui bouge en permanence. Ça serait d’ailleurs un peu contraire à notre esprit slow. On a aussi une page facebook qu’on essaie d’alimenter tous les jours, car on se rend bien compte qu’il faut être présent. Mais c’est certain qu’à un moment donné, on ne pourra pas faire l’économie de cette réflexion de notre présence sur des supports numériques. On est bien conscients, par exemple, que très peu de jeunes de 20-30 ans achètent encore un journal ou un magazine. Pour eux, la presse, c’est aller sur des sites, où ils trouveront une info gratuite. Se pose là la question de la nature de l’information trouvée sur ces sites, sa qualité, d’où elle vient… De notre côté, on remarque cependant qu’il y a plus en plus de jeunes qui s’abonnent à Imagine, parce qu’ils s’intéressent aux questions de société ou parce qu’ils apprécient l’objet graphique.

Propos recueillis par Céline Teret
Interview (ici dans son intégralité) réalisée dans le cadre du dossier « Où trouver le temps? » du magazine SYMBIOSES

En savoir plus :
Imagine - www.imagine-magazine.com

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