« Concrètement, comment se passe la création d’une carte ? Un ou deux groupes d’habitants d’une ville, constitués par l’institution qui accueille le projet (école, musée, collectivité territoriale…) sont conviés, lors d’un temps de résidence à venir produire collectivement une image de la ville. Ce collectif éphémère s’organise autour de feuilles blanches, d’ordinateurs et d’enregistreurs pour dessiner, penser, dire, nommer la ville depuis une subjectivité postulée : le commun.
Au cours du processus, il ne s’agit pas tant de recueillir ce qui serait une image de la ville, car on ne postule pas qu’une telle image préexiste à l’action de la dire ou de la tracer. Il s’agit davantage d’en construire ensemble une représentation discursive par la main et la parole, ces deux dernières se secondant l’une l’autre successivement et simultanément. Au terme du travail, cette représentation est offerte au public comme objet à commenter, à déconstruire, à augmenter.
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Plus que d’un projet artistique, on pourrait dire de la Géographie subjective qu’elle est un genre hybride de documentaire : un documentaire cartographique, narratif et collectif. »
Extrait du texte Tracer le commun, des notes sur la Géographie subjective
Anecdotes partagées, histoires racontées, opinions discutées… Les mots se dessinent sur de larges pages blanches. Des lignes se tracent, des traits se tirent. Des espaces se relient ou se délient. Des endroits se nomment, d’autres se renomment. Sur la table, une carte subjective prend forme : la ville. Celle des habitants réunis autour de la table. Leur ville telle qu’ils la vivent au quotidien.
Emancipation collective
Proposée par la française Catherine Jourdan, psychologue et artiste, la démarche de Géographie subjective invite à tracer son lieu de vie. Mais c’est aussi et surtout une belle occasion d’expression et d’émancipation pour les participants. « Le premier outil de liberté, c’est de prendre conscience de qui on est et de notre représentation du monde, explique Catherine Jourdan. Certaines personnes pensent que leur parole n’a aucun intérêt. Il s’agit donc de donner aux participants un accès à la parole publique. »
Centres culturels, écoles, collectifs d’habitants, communes… Des commanditaires variés s’adressent à l’artiste. Ses ateliers de Géographie subjective ont déjà été menés dans différents coins de France. Et chez nous, à Charleroi, Peruwelz, Anderlecht, Saint-Gilles, Laeken et d’autres communes bruxelloises. Pendant plusieurs jours, les participants tracent leur ville, accompagnés et animés par Catherine Jourdan et son équipe. Tout au long du processus, des professionnels du graphisme interviennent, pour traduire les perceptions, pour peaufiner la mise en page.
Dialogue
Le résultat n’est autre que la publication de cartes ayant, au premier coup d’œil, l’apparence de cartes conventionnelles IGN. Mais une fois ouvertes, ces cartes collectives laissent exploser couleurs, traits fous, mots doux, dessins griffonnés, réalités bigarrées… Un bel objet artistique. Les cartes réalisées sont aussi exposées sur l’espace public, parfois temporairement, et mises en vente. A Anderlecht, une carte conçue par un groupe de femmes en processus d’alphabétisation est désormais disponible dans certains commerces. « La diffusion de la carte et sa lecture légère invitent à découvrir le regard de l’autre sur la ville. C’est un objet de dialogue entre habitants. » Et avec les pouvoirs publics ? Pourquoi pas, bien que ça ne soit pas l’essence de la démarche. « Mais chaque groupe est ensuite libre d’en faire ce qu’il veut… »
Céline Teret
Géographie Subjective – 0033 (0)6 81 86 37 07 – www.geographiesubjective.org