Bomel, un quartier caché dans l’ombre de la gare de Namur. Ici, c’est l’arrière de la station, côté prison. Les rails nous séparent des commerces du centre-ville et de son piétonnier. Comme une cicatrice entre le Nord et le Sud, entre « eux » et « les autres ». La zone est aujourd’hui principalement résidentielle. Oh, pas de luxueuses façades, plutôt des maisons ouvrières, parfois occupées par plusieurs familles. Ici se croisent les habitants : vieux et jeunes, d’ici et de très loin, pauvres et classe moyenne. Ils se croisent, mais se parlent peu, trouvant l’endroit « plutôt morose ». Il y a aussi les gens de passage. Des étudiants fréquentant la plus grosse école technique et professionnelle de la ville, des travailleurs dans le secteur environnemental*, ou encore des personnes bénéficiant d’une des nombreuses structures d’aide présentes dans ce quartier pauvre de la ville : l’abri de nuit, le Resto du Cœur, les Petits Rien, les colis alimentaires de La Main Tendue… Parmi ces structures d’aide, l’Aide en Milieu Ouvert (AMO) Passages mène avec les enfants du quartier le projet « Mon quartier m’enracine », visant notamment à les aider dans leur interaction avec leur environnement.
Un projet photographique
« On a formé un groupe d’une quinzaine d’enfants de 6 à 12 ans, rencontrés lors de nos zonages en rue, raconte Anne-Sophie Fontaine, directrice de l’association. Tous les mercredis, on leur propose des animations, car ils n’ont aucune activité extrascolaire. ».Les enfants du groupe « SuperBoomel » – le super nom qu’ils se sont donnés – ont ainsi arpenté durant deux ans les rues de leur quartier, dans ses moindres recoins. Animés par Samuel Demont, de l’asbl Empreintes, ils ont découvert de façon ludique les pépites qu’il recèle, ont appris à l’aimer, le respecter et à y vivre plus paisiblement. « La plupart n’avait pas conscience de la présence d’ arbres, d’une ancienne carrière devenue zone naturelle, d’un petit parc, mais aussi de nombreux services d’aide », constate la directrice. « Beaucoup de ces enfants avaient aussi des problèmes de comportement. Or, il n’est pas possible de s’approprier le quartier tant qu’il n’y a pas de respect de chacun. On a donc beaucoup travaillé le cadre, la cohésion de groupe et la coopération », explique Samuel Demont, qui a encore dans les yeux l’image de tous ces enfants s’entraidant pour tirer la charrette avec le matériel d’animation.
« Nous voulions aussi permettre aux enfants de s’exprimer sur leur quartier, d’y porter un regard critique, d’y prendre du plaisir, d’être fier de ce lieu de vie et de cultiver le vivre ensemble, l’ancrage local, faisant particulièrement défaut à Bomel », raconte la directrice. Pour y parvenir, l’AMO a prêté des appareils photographiques jetables à chaque enfant. Coaché par un photographe professionnel, ils ont immortalisé les endroits qui, selon eux, représentent leur quartier. Leurs photos ont ensuite été imprimées sur des sets de table pour le Resto du Cœur et La Main Tendue, ainsi que sur des bâches que l’on peut encore admirer dans les rues du quartier et au Centre Culturel. Au vernissage de l’expo, ce sont les enfants eux-mêmes qui ont guidé les voisins.
« Le travail des enfants va aussi nourrir notre diagnostic, qui nous sert d’outil d’interpellation des autorités communales. Le quartier a fait l’objet de belles rénovations, mais nous voudrions qu’au delà des briques, on soutienne les actions de cohésion sociale, explique Anne-Sophie Fontaine. En 2017, on va d’ailleurs continuer « Mon quartier m’enracine », non plus avec des photos, mais avec des productions sonores et un hymne du quartier. Histoire d’occuper l’espace public d’une autre manière. »
Christophe Dubois
Article publié dans Symbioses n°113, dossier « La rue est à nous! » (1er trimestre 2017)
Photos : AMO Passages
*de nombreuses associations ainsi qu’une partie de l’administration et du cabinet wallon de l’environnement se sont installés à Bomel