La pauvreté peut atteindre tout le monde, mais plusieurs études démontrent que les femmes sont davantage touchées par les inégalités sociales tout au long de leur vie. Leurs revenus propres sont inférieurs à ceux des hommes et elles sont plus souvent touchées par la précarité. Elles restent, malgré quelques évolutions, largement en charge des activités de la sphère domestique et familiale.
Les femmes veulent-elles du RdB ?
À l’ACRF-Femmes en milieu rural, la question s’est posée : quels seraient les impacts positifs et négatifs de l’octroi d’une allocation universelle par rapport à une trajectoire de vie féminine? Quand et comment un revenu de base, fixe et sans condition, permettrait-il de vivre mieux à chaque étape de la vie : donc, de travailler, de se former, de se marier, d’éduquer des enfants, de créer, de choisir la vie qu’on souhaite y compris dans le temps de vieillir.
Cette question, nous voulions la poser à titre personnel ou au moins sur base de vies réelles. C’est ainsi que des femmes ont donné leur avis sur ce dispositif social qui porte le nom d’allocation universelle ou de revenu de base (RdB).
Presque un conte à dormir debout !
À chacune des femmes rencontrées, on a d’abord expliqué succinctement que ce revenu était une somme d’argent fixée par l’État aux environs, par exemple, de 600 € mensuels accordés à tout adulte, à titre individuel et durant toute la vie pour autant qu’on soit Belge. Pour les enfants, le montant serait limité à 300 € jusqu’à 18 ans. Toutes les personnes interrogées ont été stupéfaites et leurs yeux brillaient quand elles ont compris qu’avec ce RdB, un minimum d’autonomie leur était assuré. Finis les contrôles et humiliations pour prouver qu’elles cherchaient un emploi ou qu’elles cachaient un cohabitant ayant des revenus. On ne leur imposerait plus rien, et elles pourraient disposer librement de leur vie, être financièrement autonomes que ce soit seule, en couple ou avec des enfants.
Des études et de la créativité
La surprise de cette enquête fut de découvrir que la plupart d’entre elles, si elles avaient pu bénéficier dans leur jeunesse d’un revenu minimum garanti, auraient poursuivi des études. Car leur désir, aujourd’hui comme hier, est de participer au bien collectif, d’élever leurs enfants dans de meilleures conditions pour elles et pour eux en articulant mieux le temps de travail et celui de l’éducation. De pouvoir se lancer dans un art, un projet, une activité nouvelle susceptible ou non d’apporter, sinon un revenu, au moins une meilleure participation à la vie sociale.
Mais ce n’est pas si simple !
Le Revenu de Base n’est pas un concept bouclé. Il existe une multitude de scénarios. La seule constante est qu’il est inconditionnel et indépendant de toute disposition à travailler ou non. Mais pour que ce RdB soit finançable, il faut l’accompagner d’une progressivité d’impôt et, question essentielle, aménager la Sécurité sociale pour que tous et toutes soient couverts en matière de soins de santé et autres exceptions liées aux handicaps et fragilités.
Ce système va-t-il résoudre tous les problèmes de la pauvreté et de la précarité? Non bien sûr. Il ne règle pas tout et d’aucuns s’inquiètent de l’avenir du travail. Ceux qui bossent paieraient des impôts pour financer ceux qui ne travaillent pas ? Et là, intervient le second point révolutionnaire du système : que devient l’emploi ? Le travail, dans le sens général d’activité utiles à la société, il y en aura toujours ! C’est l’emploi rémunéré qui va de plus en plus poser problème. Les nouvelles technologies et la robotisation vont avaler jusqu’à 40% des postes disponibles. Le RdB permettra à certains de renoncer à travailler ou de diminuer leurs horaires professionnels et ce n’est pas forcément pour ne rien faire mais peut-être pour inventer d’autres activités utiles. Des places se libèreront et seront reprises par d’autres. Et si la désaffection des uns est supérieure à la postulation des autres, il faudra relancer des formations, et aussi proposer des salaires plus attractifs pour les tâches les plus pénibles.
Qui paiera ? Qui profitera ?
Depuis le temps qu’un minimum de justice sociale l’exige, il faut prendre les mesures de refinancement de la Sécurité sociale en taxant les machines et les robots, en luttant contre l’évasion fiscale (légale ou non), et en imposant comme il se doit les grosses fortunes le plus souvent acquises sur le travail des autres. Si 1% d’individus possède 85% des richesses, il y a comme un bug ! Et un bug, ça se répare pour relancer un système profitable à tous.
L’enquête a montré l’intérêt bien compris des femmes pour le RdB. La plupart y voient une piste pour le bien des familles, pour une société plus juste, et peut-être pour le partage de l’emploi. Leurs avis de terrain sont rejoints par ceux de chercheurs et de personnalités politiques de gauche et de droite. Preuve que le concept peut se décliner vers des orientations très différentes. Mais si on secoue le tout, on arrivera bien à établir un scénario qui préserve cette précieuse solidarité qui a fondé la Sécurité sociale.
L’étude menée par l’ACRF-Femmes en milieu rural s’est essentiellement inspirée du modèle proposé par Philippe Defeyt, économiste, qui tire sa légitimité « de terrain » de son expérience comme président du CPAS de Namur. Il connaît les ravages de la pauvreté au quotidien, s’est inquiété de solutions durables et travaille aujourd’hui à faire avancer et se développer l’allocation universelle comme voie de réflexion et d’action d’avenir bien comprise pour tous.
Rebelote pour les femmes ?
Entre les femmes, cela dit, on observe une controverse. Plusieurs voix féministes bien connues s’insurgent contre ce système « d’allocation » qu’elles jugent néfaste pour les femmes. Un RdB les coincerait à la maison où elles perpétueraient leurs tâches ancestrales de soin, d’éducation et de gestion domestique. Ce « procès » nous semble reposer sur l’a priori selon lequel les femmes n’auraient guère évolué socialement et se laisseraient manipuler facilement. C’est, selon nous, faire fi de leur sens des responsabilités au sein d’une société qui a besoin de leurs forces et de leur charisme. Lors de l’enquête que nous avons menée, une seule a manifesté son désir de ne pas reprendre d’activité professionnelle et c’était au bénéfice d’un autre type de travail dans le cadre d’un engagement bénévole. La forme de travail qui s’est imposée par le passé comme forme unique, à savoir l’emploi rémunéré, n’est plus porteuse d’avenir. Le plein emploi, c’est fini ! Et ceux qui le promettent sont des menteurs. Aujourd’hui, il faut inventer de nouvelles pistes de travail, d’engagement, d’occupation, de projet d’activité ludique, d’entreprenariat. Souvent polyvalentes, les femmes peuvent imaginer et proposer sans pour autant revenir à la servitude. Avec l’Allocation universelle, il devient possible de choisir un temps de travail complémentaire susceptible de faire place à des initiatives plaisantes, utiles, sans perdre sa vie à rattraper le temps.
Et les hommes, pour beaucoup, coincés eux aussi dans un système injuste de productivité compétitive, pourront choisir de rester activement à la maison, ou…, et…, d’accepter un emploi avec des horaires qui leur conviennent. Et si le RdB, bien pensé et bien organisé, permettait aux hommes comme aux femmes de jouir du bien le plus précieux : l’autonomie avec du temps à soi ?
Au sujet du revenu universel, lisez aussi l’article Un revenu pour tous…. vraiment?
Godelieve Ugeux
Article publié dans Plein Soleil 818 (mars 2017), la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rural
Retrouvez l’étude complète Et si demain on donnait 600 € à tout le monde ! sur www.acrf.be