En février, les Equipes Populaires organisaient une nouvelle édition des Débats Contrastes consacrée à la critique des médias. Partant du constat que les mouvements sociaux de gauche ne sont généralement pas tendres avec eux (et souvent à juste titre), les Equipes populaires jettent un pavé dans la mare en posant la question un brin provocatrice : La critique des médias nous rend-elle aveugles et sourds ? L’hyper critique des médias à laquelle nous nous livrons ne fait-elle pas aussi le jeu des complotistes de tous bords et des partis d’extrême droite ? Ne contribuons-nous pas au final à les décrédibiliser et donc à fragiliser la démocratie ?
Les trois invités : Anne-Marie Impe, Edgar Szoc et André Linard (voir ci-dessus), ont aidés à mieux comprendre l’univers de la profession pour cerner les enjeux plus globaux liés à la baisse de la qualité de l’information. Selon Anne-Marie Impe, professeure de journalisme d’éducation permanente à l’IHECS, les médias sont souvent les boucs émissaires de tous les maux de la société : « La sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe (Brexit), c’était la faute aux médias, l’élection de Donald Trump à la présidence des USA, c’était aussi la faute aux médias. Alors que de tels évènements questionnent plus largement nos institutions !». Elle prend cependant une précaution oratoire « Les médias ça n’existe pas ! Il est dangereux de faire des généralités. On ne peut pas mettre toute le monde dans le même sac ! Il y a des journalistes qui font très bien leur travail et qui permettent de dévoiler d’énormes scandales. Et certains sont moins recommandables. Comme le dit très justement Edwy Plenel (cofondateur de Médiapart) de certains confrères : « Nous sommes de la même profession mais nous ne faisons pas le même métier », ajoute-t-elle.
L’info, une marchandise comme une autre
Plusieurs éléments expliquent la baisse de qualité de l’information. L’un d’entre eux, c’est la marchandisation de l’information. « Celle-ci détourne le journaliste du bien commun et de l’intérêt public. La hiérarchisation de l’information répond à une logique de profit. Le principal critère dans le choix du sujet traité est celui de la vente. Ce sont souvent des sujets que j’appellerai Bang bang, ceux-là traitent de la violence, des attentats, des guerres, des faits divers, ou encore des sujets Bling bling, qui, eux, se rapportent aux infos people. C’est par exemple quand on ouvre le JT sur le divorce de stars de cinéma au lieu de parler de la fermeture d’une usine », explique-t-elle.
Certaines critiques émises à l’égard de certains journalistes sont évidemment justifiées mais les erreurs journalistiques ne sont pas toujours volontaires et ne cachent pas systématiquement un agenda politique comme certains complotistes voudraient le croire. En revanche, certains écarts sont très graves « Comme cette Une de la DH (voir ci-contre) qui avait titré « 70% des migrants sont des faux mineurs ». Mais si on regardait la méthodologie du sondage qui menait à ce résultat, on se rendaion qui a été sciemment partagée avec leurs lecteurs.» Anne-Marie Impe ne mâche pas ses mots à ce sujet « C’est de la malhonnêteté intellectuelle parce que la rédaction en est consciente. C’est très grave ! ».
C’est ce type de pratiques qui contribue à accroître la méfiance envers certains médias et, au final, de l’entièreté des titres. « Dans ce cas, les journalistes et responsables des rédactions ont abdiqué de leur responsabilité sociétale puisqu’ils créent un climat délétère propice au vote d’extrême droite. » Et elle ajoute : « Il en va de la responsabilité du journaliste de parler de ce qui est vraiment important. Par exemple, le traitement du génocide du Rwanda en dit long sur la sélection de l’information. Il a fallu seize semaines pour retrouver cette tragédie qui a fait près d’un million de morts, en Une des principaux journaux».
Une autre critique que l’on peut adresser à certains médias, c’est qu’ils ne reflètent pas le monde tel qu’il est alors qu’ils devraient représenter l’ensemble des groupes qui composent la société : « Par exemple, les retraités sont sous-représentés dans les médias ». Trouver un équilibre entre les informations plutôt négatives et les bonnes nouvelles est aussi important.
Selon Edgar Szoc (BePax), la marchandisation de l’info s’est accentuée avec l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux. « Cela a profondément bousculé les pratiques journalistiques. On peut maintenant évaluer en temps réel le succès d’un article ! ».
Mais l’évolution du métier répond à la fois à des causes micro-économiques, les attitudes journalistiques au quotidien, et macroéconomiques, l’augmentation des pressions externes liée à la concentration des principaux groupes de presse. André Linard, ancien secrétaire général du Conseil de déontologie journalistique (CDJ) identifie plusieurs raisons à cette baisse de qualité de l’information : « L’exigence de rapidité Aujourd’hui, on nous pousse à mettre une info en ligne sans la vérifier parce qu’on peut la supprimer ! La croissance de l’information de divertissement : attente croissante du public pour le spectaculaire et la multiplication des rôles qu’on attend des journalistes (preneur de son, caméraman, article pour le site du journal en plus du papier habituel pour le quotidien), ce qui laisse moins de temps pour la vérification des faits». Sans oublier la précarisation du métier « Les conditions de travail sont précaires, on assiste à une diminution d’effectifs» mais la charge de travail reste la même ! « Produire une information de qualité implique d’avoir les moyens ! ».
Trolls, mensonges, rumeurs comme arme idéologique
Nous sommes outillés pour critiquer les médias, en revanche nous sommes beaucoup moins bien armés pour identifier les manipulations des informations sur la toile. La polémique autour de la campagne de Trump a fait émerger de nouveaux acteurs de la toile méconnus du grand public : « Les usines à trolls en Russie emploient des centaines, voire des milliers de personnes qui sont chargées d’envahir les forums, les commentaires sur les sites étrangers en langue anglaise, allemande, française, dans le but de créer ce qu’on appelle un « bruit blanc », c’est-à-dire une sorte de brouillard, de pollution des discussions, non pas pour matraquer des thèses idéologiques, mais pour rendre le débat impossible. Pour donner l’impression que tout est affaire de point de vue, pour brouiller les cartes», affirme Edgar Szoc.Mensonges, rumeurs… la toile est le support idéal pour que ceux-ci se répandent rapidement et presque de manière irréversible. Et le réseau social Facebook n’échappe pas à la règle. Les algorithmes qu’il renferme enregistrent portements des individus (pages aimées, évènements, centres d’intérêts…) et leur proposent du contenu lié à leurs préférences. De telle sorte qu’il nous enferme dans une bulle appelée « bulle de filtres », qui rend toute opinion contraire à la nôtre quasi inexistante : « Les bulles de filtres, qui nous enferment dans les types d’infos que nous aimons bien, créent une sorte d’intolérance à la dissonance cognitive, qui rend la discussion démocratique très compliquée ! Nous sommes de moins en moins tolérants à des opinions qui bouleversent nos représentations du monde». Et internet de manière générale favorise cet enfermement « Sur internet, tout ce qu’on recherche existe! », explique-t-il.
Tout cela procède de l’enfumage, brouille le message : comment faire le tri entre vraies informations et les rumeurs ou pseudo contre-vérités ? Mais plus largement, cette crise de confiance envers les médias traditionnels est le symptôme d’une crise de confiance dans les institutions (politiques, justice…) : « La perte de confiance dans les médias n’est pas, je pense, une maladie, mais le symptôme d’un problème plus profond, qui est l’augmentation des inégalités. Partout où les inégalités sont fortes, la confiance dans les institutions diminue, et là où elles sont plus faibles, cette confiance augmente », affirme Edgar Szoc.
Crise de confiance dans les institutions
« Nous ne sommes pas uniquement confrontés à une crise de confiance envers les médias mais au discrédit de l’opinion envers tout ce qui est assimilé au système, y compris les médias », explique André Linard, ancien secrétaire général du Conseil de déontologie journalistique (CDJ). Mais selon le journaliste, « une étude réalisée par l’ULB auprès de journalistes professionnels belges révèle que ces dernières années l’actu est devenue de plus en plus sensationnaliste, que les médias accordent trop d’importance aux informations légères et, de manière générale, la qualité journalistique est en baisse ».Ceci démontre que ceux qui produisent l’information sont également extrêmement critiques à l’égard des informations. « La critique des médias provient de l’intérieur même de la profession. Les journalistes n’ont pas la maîtrise sur tout leur travail. »
Face à tous ces constats, il y a des recherches de réponses : « En 2009, on a créé en Belgique un conseil de déontologie qui est chargé d’observer les pratiques journalistiques et de promulguer des conseils à la profession. On assiste également à un retour d’articles plus longs, à l’émergence de médias qui travaillent sur le fonds (Médor, 24h01…). Le consortium des journalistes d’investigation a permis notamment de dévoiler le scandale des Panama Papers. Le Monde a mis en place des outils de décodage de l’information pour faire la chasse aux fausses informations. Quelques journaux font du Fact Checking, c’est-à-dire qu’ils font un décryptage des informations qui circulent sur la toile, en les décortiquant, et vérifient leur véracité. » Selon l’ancien journaliste, il y a comme une attente contradictoire de la société : on critique les médias traditionnels et en même temps, il y a une certaine attente pour des informations plus légères : « Il faut que le public joue son rôle. Il faut une dynamique entre les journalistes et le public. Qui est prêt à payer pour une info de qualité ? Le baromètre radio CIM de février 2017 révèle une augmentation de l’audience pour les émissions de divertissement au détriment des émissions d’infos !»
Quant au défaut d’objectivité tant reproché aux médias, elle est balayée d’un revers : « Il faut sortir du mythe de l’objectivité. Elle n’existe pas ! Nous sommes des sujets ! ce qui compte, c’est l’honnêteté intellectuelle. Et suivre une certaine éthique par exemple en distinguant les faits des opinions », explique Anne-Marie Impe, professeure de journalisme d’éducation permanente à l’IHECS. « Certains regrettent que les médias ne prennent plus de position politique et, d’un autre côté, on leur reproche d’être trop politisés ! Les journalistes sont militants d’une chose : la recherche de la vérité», affirme André Linard.
Ce débat a permis de démythifier des croyances envers la profession de journaliste et de nous remettre en question face à nos attentes à leur égard. Les mouvements de gauche ne sont pas suffisamment présents sur la toile. C’est un enjeu important dans un monde hyper connecté où les jeunes s’informent en grande majorité sur Facebook. Voilà là un espace à investir, sous peine de se retrouver en décalage avec le public et de perdre la bataille des idées, les activistes d’extrême droite l’ont bien compris, ils sont très actifs sur la toile. Mais leur ampleur est à mesurer, ce sont souvent les mêmes personnes qui déversent plusieurs fois des commentaires haineux. A nous de prendre nos responsabilités, comme citoyens, comme militants, comme professionnels de mouvements sociaux, pour renverser la vapeur.
Claudia Benedetto
Article publié dans La Fourmilière, Contrastes n°179 (mars-avril 2017), la revue des Equipes populaires