Surpopulation, vétusté des équipements et manque d’accès aux services de base, notamment aux soins de santé : voilà les principaux griefs qui sont généralement faits aux prisons de notre pays. En juillet dernier, le Conseil de l’Europe a même mis en demeure l’Etat Belge de garantir les droits des détenus, lors de mouvements sociaux, par l’instauration d’un service minimum dans les prisons. Le Gouvernement fédéral s’emploie, bien sûr, à dénouer cet écheveau particulièrement complexe, notamment en construisant de nouveaux établissements pénitentiaires – Marche-en-Famenne, Leuze-en-Hainaut et prochainement Vresse-sur-Semois – et de nouvelles extensions à des sites, hélas, trop bien connus de notre population…
En Hesbaye, au « milieu de nulle part »…
Les « tours » de Lantin déchirent le ciel hesbignon comme les grandes maisons hantées des vieux films d’horreur. Pour peu, on prendrait bien les vols de corbeaux pour des nuées de chauve-souris… L’horreur, à vrai dire, est surtout architecturale et la laideur contagieuse dans ce que beaucoup présentent comme un véritable enfer carcéral : « on en sort toujours plus fou qu’on y entre », dira sans rire un de nos interlocuteurs… Mais si nous sommes là, un peu malgré nous, à contempler l’impressionnant édifice, c’est parce qu’un projet d’extension veut avaler des champs bio de la Ferme à l’Arbre : entre six et huit hectares et demi de bonne terre agricole, en fonction des projets.
La prison de Lantin n’est pourtant pas vieille : bâtie en remplacement de la vieille prison Saint-Léonard de Liège et inaugurée en 1979, elle est vite devenue un parfait symbole d’infamie sociale. Nous ne disserterons cependant pas ici du bien-fondé ni de l’utilité de nos pratiques carcérales – d’autres le font certainement beaucoup mieux que nous – car nous ne voudrions pas que ce débat occulte notre véritable propos, celui de la disparition progressive des bonnes terres agricoles. Il semblait normal, dans les années septante, de soulager l’espace urbain du fardeau d’une prison, de transporter ce « mauvais lieu » au milieu de la plaine qui paraissait alors infinie, afin que les détenus puissent renaître à l’air pur et méditer sur le paysage bucolique… A peine un demi-siècle plus tard, la sensibilité s’est carrément inversée : la bonne terre menée en agriculture biologique apparaît comme une rareté, fruit du temps long et d’un travail intense. Autant de précieuse valeur ajoutée qu’une simple somme d’argent ne pourra jamais prétendre acheter…
« Nous venions de planter un verger hautes tiges, dit Michel Pâque. C’est typiquement le genre de plantation qu’on fait pour les « suivants ». Ceux qui mangeront les fruits de ces arbres – si ces arbres toutefois survivent – ne sont sans doute pas nés… »
Une question simple vient alors rapidement à l’esprit : pourquoi sacrifier pareilles terres alors que la Wallonie ne compte plus aujourd’hui les friches industrielles abandonnées de tous, pour lesquelles on n’a plus ni projet, ni budget ? Il ne s’agit donc aucunement de refuser sa part de responsabilité face au grave problème des prisons mais plutôt de souhaiter qu’on y remédie de la manière globalement la plus efficace possible.
« Il ne s’agit évidemment pas de reléguer symboliquement les détenus sur les chancres urbains pollués, précise Michel Pâque, mais plutôt d’optimiser l’affectation de nos sols wallons en tenant compte de leur potentiel productif. Le sol agricole, chez nous comme ailleurs, doit aujourd’hui être soigneusement préservé alors que rien ne s’oppose à la construction d’établissements pénitentiaires – ou de tout autre lieu que la Justice estimerait nécessaire – là où il y avait précédemment une usine ou un entrepôt… J’aimerais personnellement que chaque personne qui y séjournera soit nourrie avec ce donnera la terre bio ainsi préservée. Cela me paraîtrait humain et équitable. »
Valoriser un modèle agricole
Mais une extension, bien sûr, n’est possible qu’en utilisant l’espace attenant. L’impact économique de la perte de quelques hectares serait-il important pour une entreprise aussi bien implantée que la Ferme à l’Arbre ? Cette perte ne pourrait-elle pas être compensée financièrement ? Ou peut-être pourrait-elle l’être par d’autres terres, situées un peu plus loin ?
« Nous avons toujours défendu le côté « logique » inclus dans notre projet « bio-logique », répond aussitôt Michel Pâque ! Notre modèle s’est construit progressivement au départ d’une ferme familiale classique avec ses terres adjacentes : nous l’avons soigneusement diversifiée, nous avons joint le magasin – que nous développé avec prudence – puis le restaurant et aujourd’hui une brasserie. Toute nouveauté est réfléchie dans ses multiples interconnections avec le reste… C’est un tout organique, compact, et personne ne connaît, au préalable, l’effet qu’aurait l’ablation d’un seul organe sur le corps tout entier. La Ferme à l’arbre, c’est aujourd’hui une trentaine d’emplois (ETP) directs et sans doute autant d’emplois indirects. Ceux qui avaient des doutes sur le sérieux de la bio doivent donc remettre à jour leur logiciel. Nous sommes attachés à la défense globale de ce modèle et de son image ; nous sommes, avant tout, une vraie ferme productive et nous ne voudrions pas risquer de passer pour une « ferme fantôme » parce que chacun saurait que quelques terres nous ont été ôtées en fonction d’un impératif extérieur, aussi louable soit-il. Le préjudice dépasserait, de très loin, le prix de quelques arpents de bonne terre… Nous aurions, par ailleurs, très mauvaise grâce à accepter une compensation hectare pour hectare : cela signifierait que l’extension aurait été faite au détriment d’un autre agriculteur. Or il s’agit bien de défendre également la surface agricole wallonne, d’une manière générale, et les produits de grande qualité qu’elle peut offrir à la population. »
Un modèle social porteur de sens et d’avenir
Le souhait d’un modèle social cohérent vaut, bien sûr, autant pour notre modèle agricole que pour notre modèle pénal. Et nous sommes convaincus, chez Nature & Progrès, que l’ensemble des protagonistes du dossier travaillent dans ce sens.
« Nous recherchons tous une évolution positive pour Lantin, affirme Michel Pâque, tant pour les détenus que pour les travailleurs de la prison et la population riveraine. Mais nous sommes convaincus qu’une extension n’est pas une bonne solution. Sans doute serait-il intéressant, par contre, si un nouveau site ne peut pas être trouvé, de profiter des extensions prévues à Verviers et à Paifve pour vider temporairement Lantin et reconstruire intégralement l’établissement à l’intérieur de l’enceinte actuelle… »
Il se murmure, en effet, qu’une telle solution pourrait avoir l’aval de la Commune de Juprelle, elle aussi opposée à toute extension de l’actuelle prison de Lantin. Précisons que cette commune est la seule en Belgique à accueillir… deux prisons sur son sol : le « monstre » pénitentiaire qui nous occupe, bien sûr, mais aussi l’établissement de Défense sociale de Paifve – inauguré en 1972 – qui est à mi-chemin entre prison et hôpital psychiatrique. Une extension à Paifve – qui serait, elle, une véritable prison -, sur des terres appartenant de longue date à l’Etat fédéral, ne souffre, semble-t-il aucune contestation. Par ailleurs, les terribles « tours » de Lantin – les hautes bâtisses carcérales qu’on aperçoit à des kilomètres – seraient, quoi qu’il arrive, rabotées à hauteur des murs extérieurs…
Sympathisants et clients de la Ferme à l’Arbre, et au-delà tous-tes les Wallons-nes sensibles à la nécessité de dynamiser l’agriculture bio locale, seront certainement attentifs-ves à l’évolution de ce dossier. Car la bonne terre agricole est un bien irremplaçable !
Dominique Parizel, Nature & Progrès
Article publié dans Valériane n°128 (novembre-décembre 2017)