« L’âge de la vieillesse, que l’on se figure communément comme celui du temps figé, des habitudes qui s’enracinent est aussi, paradoxalement, un temps de bouleversements et de profonds changements », a expliqué la docteure en psychologie, neuropsychologie et gérontologie Valentine Charlot, lors du traditionnel Forum des Aînées, à Assesse en juin dernier. Valentine Charlot propose d’envisager le vieillissement sous l’angle des transitions qu’il implique, dans les aménagements du quotidien: avoir recours à une aide technique (déambulateur, canne, chaise roulante), recevoir des aides de la part de professionnels (pour la toilette, les courses), repenser l’agencement de son domicile ou revoir son lieu de vie… Autant de décisions qui s’imaginent, s’installent ou s’imposent.
C’est quoi, cette asbl ?
Centre de Ressources en Vieillissements, c’est ainsi que se présente l’association « Le Bien Vieillir », fondée en 2004. Car il n’y a pas qu’un vieillissement, mais bien autant d’avancées en âge que de personnes. Outre la formation et l’accompagnement des professionnels (sur des questions telles que la contention, la sexualité, l’intimité), l’association propose un soutien et une orientation aux personnes âgées elles-mêmes ainsi qu’à leurs proches. Une consultation gratuite concernant la maladie d’Alzheimer est par exemple ouverte à Namur. Dernièrement, la sensibilisation du grand-public au « bien vieillir » s’est ajoutée aux missions de l’asbl pour « changer de regard et d’attitude envers les vieillesses ».
En savoir plus : www.lebienvieillir.be ou 081/65 87 00.
Or, ces petites et grandes décisions sont au cœur d’une série d’enjeux et de tensions, pour la personne âgée et son entourage. « L’analyse de ces négociations, de ces décisions qui se prennent ou ne se prennent pas, nous donne des clés pour décrypter de nombreuses situations, débats, conflits, blocages… au sein des familles et auprès de la personne âgée », témoigne-t-elle, en tant que présidente de l’asbl « Le Bien Vieillir » (voir cadre), qui soutient et oriente des personnes âgées et leurs proches.
Le regard sur soi
En 1770, l’espérance de vie était de 28 ans. Elle a donc triplé en 250 ans. Cela signifie qu’on n’est plus « vieux » au même âge qu’avant. Mais, au fond, existe-t-il un âge d’entrée dans la vieillesse ?
Le vieillissement est une notion très relative, explique Valentine Charlot : il y a l’âge chronologique, l’âge biologique (diminution de la vue, de l’ouïe, etc.) et enfin l’âge subjectif (l’âge que je « ressens » avoir, celui de mes actes et de mes centres d’intérêt). Ce dernier est le seul qui peut s’accélérer, se ralentir, cesser d’évoluer ou encore, s’inverser. « Il n’y a donc pas de critère univoque définissant l’âge d’entrée dans la vieillesse. Et nous ne sommes pas égaux devant la vieillesse : certains ont une meilleure constitution, sont mieux entourés que d’autres… Les histoires de vie sont différentes. »
Est-ce que je vieillis « bien » ?
Voilà une question au centre de bien des croyances, de peurs, de recettes toutes faites, de témoignages, de molécules savantes et de modèles théoriques. Dans notre société, vieillir bien, cela s’accompagne de beaucoup d’injonctions, souvent contradictoires : reposez-vous (mais restez actifs), prenez du temps pour vous (mais transmettez aux plus jeunes !), etc. Cela nous pousse à penser qu’il y a des choses à faire ou pas pour « bien vieillir », être un « bon vieux »… On le sait, notre société exalte le « jeunisme ». Mais on a tendance à oublier que nous sommes aussi très influencés par un certain « âgisme » ambiant, un « racisme anti-vieux », en quelque sorte.
Comme le racisme, l’âgisme a trois composantes : la composante cognitive (croyances et stéréotypes), la composante affective (préjugés explicites et implicites) et la composante comportementale (attitudes de discrimination). Et, comme dans le racisme, on assiste à la généralisation à toutes les personnes âgées de prétendus attributs spécifiques : elles seraient rétrogrades et incapables de s’adapter, malades, dépendantes, rabat-joie et tristes, lentes, sages et patientes, nostalgiques, elles seraient des charges pour ceux qui en prennent soin, etc.
Combien d’entre nous n’ont pas observé ou vécu eux-mêmes l’infantilisation (bien intentionnée, le plus souvent) de personnes âgées par des plus jeunes ? « Avez-vous remarqué : quand on parle à un bébé ou à une personne âgée tout devient « petit » : on va préparer un « petit » biberon au bébé, on va faire une « petite » toilette à la personne âgée », remarque la spécialiste. Le pire, c’est qu’on intègre souvent nous-même des réflexes « âgistes ». Du coup, si l’on est persuadé qu’ « un vieux est forcément lent », on va inconsciemment ralentir soi-même en prenant de l’âge.
Acteur de son vieillissement
Et si « bien vieillir », c’était avant tout rester acteur de son vieillissement ? « L’avancée en âgé s’accompagne, à des degrés divers, de changements, de transitions, de deuils, de soucis de santé, dit Valentine Charlot. Mais, en même temps, nous avons une expertise de plus en plus fine dans une série de domaines, nous pouvons compter sur l’expérience accumulée de nos essais et erreurs… » Il ne s’agit pas d’être angélique ni catastrophiste, mais d’accepter qu’à tout âge, vieillir exige de négocier et de s’adapter.
Elle propose de commencer par faire un état des lieux de ses ressources (personnelles, du réseau, de l’environnement) déjà présentes ou à développer dans le but de s’aider un maximum. Et de se baser sur le modèle SOC (1) pour s’adapter :
- Sélection : sagesse de savoir ce qu’on peut encore accomplir ;
- Optimalisation : améliorer son potentiel, s’exercer encore et toujours ;
- Compensation : mettre en place des stratégies.
Et de citer l’exemple d’Arthur Rubinstein (1887-1982), un formidable pianiste qui, à 90 ans, s’était adapté. « On peut lui appliquer le modèle SOC, explique Valentine Charlot. Il a Sélectionné (« Je joue moins de morceaux différents ») ; Optimalisé (« Je m’exerce plus souvent sur ces morceaux ») ; et Compensé (« Je joue moins vite les passages plus lents pour que les passages rapides aient l’air d’être encore plus rapides ! ») ».
Négocier avec les autres
Face au vieillissement, différentes stratégies de vie sont donc possibles permettant de négocier, de s’adapter, de profiter d’une situation nouvelle. Simone Pennec, de l’Université de Bretagne Occidentale, a montré quatre types de positionnement face à la survenue d’un événement marquant l’entrée dans le grand vieillissement comme, par exemple, l’apparition d’une situation de handicap moteur ou la disparition d’un proche.
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1. Repli sur son domicile et baisse des relations sociales.
2. Maintien du réseau relationnel par la mobilisation des proches (familles ou amis) qui vont être volontaristes pour entourer la personne.
3. Recomposition de l’entourage et mise en place de stratégies de compensation qui peuvent aller d’une importance croissante donnée à la télévision à la valorisation d’actes relationnels pouvant apparaître comme anodins (rester sur le pas de sa porte pour regarder et échanger avec l’extérieur).
4. Extension du réseau social à travers des initiatives qui peuvent aller de l’invitation d’enfants ou de petits-enfants à la reconstitution de liens sociaux par l’inscription dans un cadre associatif ou la remobilisation d’anciens réseaux.
Bien vieillir, c’est donc aussi oser demander de l’aide. Exprimer ouvertement, sans crainte de gêner, nos besoins à notre famille, nos amis, aux professionnels. Et Valentine Charlot de conclure sur cette formule des psychosociologues Clément Pichaud et Isabelle Thareau : regardons l’avancée en âge avec « un réalisme qui ne soit pas une démission et un optimisme qui ne soit pas une illusion ».
Maïder Dechamps
Article de Plein Soleil n°824 (octobre 2017), la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rural
(1) Pour aller plus loin : https://www.researchgate.net/publication/228990045
Consultez également l’analyse « Les vieux, resterez-vous vraiment chez vous? » sur www.acrf.be