Ils ne sont pas enseignants, mais architecte, urbaniste, animateur socioculturel. Leur vision de la ville est transversale et évolutive, elle se nourrit des expériences et des regards des différents acteurs avec qui ils collaborent quotidiennement. Ne jamais travailler seulement pour, mais toujours avec, c’est leur posture. Les projets qu’ils mettent en place prennent forme grâce à un réseau de partenaires qu’ils tissent de manière organique et avec qui ils défendent une approche ouverte et un dialogue des domaines d’actions complémentaires (architecture, pédagogie, écologie sociale, santé mentale, éducation permanente, culture…).
Ils ont plusieurs axes de travail, nous nous intéresserons ici à l’axe école. Peut-être ne sont-ils pas experts de Freinet, mais leur démarche est dans cette lignée. Ils poussent enfants et adultes à la réflexion et à l’action en les accompagnant dans la matérialisation de leurs envies et besoins à partir de leurs vécus.
Tous à l’eau
En 2015, une première action voit le jour dans une école qui travaille la thématique de l’eau. Chaque enfant est invité à imaginer et à dessiner un château d’eau sans savoir qu’un vrai va arriver dans leur cour d’école. Ils pourront comparer leurs représentations à une réalisation et voir qu’il y a différentes manières de faire et de penser. Un château d’eau existait donc déjà, conçu et réalisé en bois et en métal par l’équipe de Fabrik, pensé pour être démontable, transportable et, évidemment, utilisable dans n’importe quel espace public. Simplement, le déposer dans la cour, pendant un mois, et voir ce qui allait se passer avec. Une surprise de taille pour les élèves. Observer les réactions et comment l’eau récoltée et filtrée serait utilisée. Les 500 litres d’eau de pluie récoltée seront utilisés par les enfants pour arroser le potager déjà existant et par le personnel d’entretien pour nettoyer la cour.
À la suite de ça, le projet tour d’eau se met en place à l’école. L’idée, construire avec parents, enseignants et riverains une plateforme de jeu pédagogique qui récupère l’eau de pluie et la rend propre par une filtration en bacs (sable, gravier, ouate). Avant de débuter la construction, pendant les vacances d’été, tous les élèves ont été impliqués dans la réalisation d’une grande fresque à l’emplacement de la future tour d’eau. Cela peut paraitre limité, mais c’est un premier pas symbolique important. Peindre des gouttes d’eau, ça compte aussi. Pour les adultes, les ateliers furent l’occasion d’apprendre des techniques simples de construction, d’échanger des savoir-faire, de s’approprier un espace avec une construction utile et ludique. L’inauguration sera l’occasion d’ouvrir l’école au public, d’inviter à un parcours explicatif en néerlandais et en français. L’école est néerlandophone, mais son public plutôt francophone, qu’à cela ne tienne, l’important, c’est le message, donc on traduit.
Ce projet est une aubaine pour donner du sens à une série d’apprentissages dont les enseignants vont pouvoir s’emparer, car ceux-ci sont ancrés dans une expérience collective et adaptée à la réalité particulière de cette école. Le projet déjà valorisant en soi sera d’ailleurs valorisé par le prix belge de l’énergie et de l’environnement 2016 dans la catégorie Education Eco Award. Ce n’est pas un détail pour une école en milieu populaire.
Réinventer la récré
Forts de cette expérience, ils ont été contactés par une autre école, pour réaménager la cour de récréation. Cette école collabore régulièrement avec Brede school Molenbeek, une organisation qui fait pont avec les écoles et les milieux socioculturels pour développer des activités parascolaires. Cette fois, les enfants étaient au cœur des différentes étapes du projet. Comment passer de la réflexion à une réalisation, c’est la première question que Fabrik a mis au travail avec eux. « Qu’est-ce que vous voulez pour vous et pour les autres dans la cour et comment pourrait-on y arriver ensemble ? »
Tout a commencé, la première année, par huit ateliers maquette Imagine ton école, pendant les temps de midi, avec les élèves de troisième primaire. Trois objectifs principaux étaient poursuivis : stimuler la créativité des élèves, partir des idées de chacun pour développer un projet de groupe et matérialiser une idée en trois dimensions avec du matériel de récupération.
Ils s’attendaient à ce que les enfants aient mille idées folles, ça ne s’est pas passé comme ça. Techniquement, c’est difficile de représenter une idée par un volume. Ils avaient l’impression que certaines idées n’appartenaient pas vraiment aux enfants, comme de faire une discothèque dans la cour ou mettre un écran géant. Mais celles-ci parlaient peut-être de l’envie d’avoir de la musique ou un espace pour bouger. Il fallait alors chercher d’où venaient ces idées et aussi en susciter d’autres.
Par souci de ne rien imposer ni influencer, ils n’ont peut-être pas assez encadré avec des règles les moments de discussion et de décision du projet. « Nous avions réfléchi aux consignes pour les ateliers, mais peut-être moins bien géré les temps de discussions. Mais on a pu observer, et la titulaire aussi, que certains enfants se mettaient pour la première fois à travailler ensemble. Des filles avec des garçons. Des enfants qui d’habitude avaient du mal à se concentrer travaillaient avec calme sur leur maquette. Au fil des ateliers, il y avait des résultats. La prof nous a encouragés à montrer certaines choses qu’on avait déjà faites ou qui existaient pour permettre que leur imaginaire se développe autrement. On se rendait compte de l’influence qu’avaient les exemples sur leurs réalisations. Si on montrait un module sur lequel on pouvait s’assoir, hop, ils construisaient quelque chose sur lequel on pourrait s’assoir. Ce qu’on voulait au départ éviter, alors que ce n’est pas nécessairement à bannir. On a compris aussi que les questions qu’on posait passaient mieux quand les enfants étaient occupés à construire leur maquette, plutôt que d’avoir des moments de discussion sans action. C’est important d’apprendre à se détacher de son idée première et de faire des changements dans sa maquette. Ajouter, enlever, déplacer. »
Se mettre à l’échelle
Parallèlement aux ateliers maquette, l’école cherchait des subsides pour aménager la cour et celui qui a été trouvé exigeait de donner une place importante dans le projet à l’avis des enfants. Ça tombait bien vu l’importance qu’ils accordent à l’aspect participatif de leurs projets. Les ateliers maquettes allaient pouvoir déboucher sur quelque chose de réel.
On a ensuite fait appel à eux pour coconstruire des pops up à grande échelle et peut-être pour s’assurer que l’école était vraiment partante pour le travail participatif, que ce n’est pas un alibi pour déposer dans la cour des modules de jeux fabriqués ailleurs. C’était l’occasion de voir comment les différents acteurs — enfants, parents, enseignants, éducateurs — réagissent à ce type d’action.
La construction à échelle réelle a été mise en œuvre avec un groupe d’enfants de six à douze ans, inscrits au parascolaire du mercredi et volontaires pour ce projet. C’était gratuit et sur inscriptions pour cinq ateliers. Il y avait plus d’enfants intéressés que de places, ça c’était difficile.
Ils ont repris la ligne de travail des ateliers maquettes et une des idées qui avait été proposée, celle du labyrinthe. Avec le carré comme structure de base qu’il fallait reproduire pour arriver à quelque chose de grand. Ils ont travaillé avec des palettes qui servaient à transporter de l’acier. Des palettes à démonter, à scier. Le faire et encore le faire. Découvrir les outils, petit à petit, et apprendre à les utiliser seul. Apprendre la patience, car les outils étaient moins nombreux que les enfants. Travailler par équipe.
Les outils ne sont pas dangereux en soi, ça dépend de la manière dont on les utilise. Il fallait en prendre la mesure. Se concentrer. Il fallait les voir utiliser la scie électrique !
Fierté et besoin de lien
Dans la phase de découverte, les enfants étaient regroupés par âge pour respecter les rythmes des petits et des grands. Ensuite, les équipes de travail n’ont plus été imposées et, souvent, petits et grands se mélangeaient, il fallait collaborer pour que le travail avance. Et, ce qui est pourtant assez inhabituel, filles et garçons collaboraient de leur plein gré. Ils trouvaient eux-mêmes l’équilibre des forces nécessaires pour fonctionner. Ils s’organisaient en équipe pour les différentes tâches.
De la découverte des outils à la surprise de la réalisation, beaucoup de fierté chez les enfants et chez les parents qui se sont rendu compte de ce que leurs enfants pouvaient faire. Malgré la participation aux ateliers, ils ne s’attendaient pas au résultat final : l’assemblage des différents carrés fixés au sol donnait un labyrinthe de taille impressionnante. Ça a permis, dans certaines familles, des moments de bricolage inimaginables avant ce fameux labyrinthe. Un enfant a dit, dans un retour informel : « Ah, mais si je sais faire ça, je pourrais construire un goal ! » Le fait d’avoir été confronté à du réel ouvre l’imaginaire et l’envie de faire.. Un autre a dit qu’il n’avait pas beaucoup d’idées, mais que le travail en équipe permettait de s’y mettre.
Par manque de temps, l’évaluation avec les enfants est passée à la trappe, mais il est important de prévoir un temps de discussion sur le projet, pour clôturer. Prendre le temps de mettre des mots sur ce qu’on a appris, ce qui était plus compliqué, les changements que ça a produit, comment le travail ensemble s’est passé, les projets que chacun pourrait mettre en place, dans l’école ou en famille.
Les travailleurs de Fabrik sont prêts à travailler dans la classe pendant le temps scolaire. Ils sont convaincus des liens à faire avec des apprentissages prévus dans les programmes. Par exemple, lorsque les enfants sciaient, il a fallu d’abord mesurer et trouver la diagonale pour que les morceaux de planches puissent former un carré. Mais, cela demanderait un partenariat avec les enseignants. Cela ne peut se passer sans un certain nombre de réunions de concertation autour de la réflexion, de la conception et de la fabrication.
Il faut aussi parler du suivi du projet avec les acteurs de l’école. Par exemple, si personne n’est responsable du robinet. Le jour où il cassera, personne ne le remplacera.
Ça peut coincer aussi pour ce qui est de la participation des enseignants si le projet est imposé.
D’autres courts articles sur les projets de l’asbl Fabrik dans le magazine Symbioses :
> Une tour dans la cour (Symbioses n°108, automne 2015)
> Faire ta cour de récré (Symbioses n°115, été 2017)
> Parcours ta cours ! (Symbioses n°118, printemps 2018)
Jusqu’aujourd’hui, tous leurs projet école étaient dans l’extrascolaire. Mais ils sont partants pour collaborer dans un projet participatif avec plusieurs acteurs : enfants, jeunes, enseignants, parents, dans le temps scolaire, des ateliers en lien avec le travail de la classe. Certains profs ont d’ailleurs spontanément ouvert la porte de leur classe pour prendre en compte ce que Fabrik fabriquait avec les enfants en parascolaire.
Actuellement, il y a des politiques qui poussent les écoles à s’ouvrir sur le quartier. Encore des possibilités de projets pour continuer à développer l’articulation des savoirs technologiques aux savoirs théoriques.
Sandrine Dochain
Article publié dans « Traces de ChanGements n°237 (septembre-octobre 2018), la revue de ChanGements pour l’égalité (CGé)
Photos : Fabrik
Fabrik asbl : 02 217 94 40 – www.fabrikfabrik.be