Salle quasi comble dans le large auditorium de l’Université de Mons. Sur l’estrade, un Rob Hopkins au large sourire et à l’air éminemment sympathique. L’homme qui, en Angleterre, a posé les premières pierres du mouvement de la Transition il y a une dizaine d’années d’ici, est désormais connu partout dans le monde. Tout du moins, dans le monde déployé de la Transition. De conférences en visites sur le terrain, il papillonne, observe, échange, se délectant de ces initiatives positives qui émergent ça et là, à travers le globe. Auteur, notamment du célèbre Manuel de Transition, Rob Hopkins vient d’envoyer à son éditeur son dernier ouvrage qui devrait sortir (en anglais) en septembre 2019. Il y fait l’apologie de l’imagination, invitant à peindre de monde de « Et si… ? ». Son crédo : « Déchaîner le pouvoir de l’imagination pour créer le futur que nous voulons. »
D’imagination, il est donc venu parler aujourd’hui à Mons. Non sans faire un petit détour du côté de l’actualité, de ce qui se passe en rue, de ces jeunes et adultes qui se mobilisent pour le climat depuis quelques mois. « Les renforts sont arrivés ! C’est un extraordinaire processus imaginatif du ‘non’ qui s’organise actuellement et qui a besoin d’être concrétisé par un extraordinaire processus imaginatif de ‘oui’ ». Maintenant que l’urgence climatique est déclarée et semble reconnue de toutes et tous, y compris dans le monde politique, la question est de savoir : « Qu’allons-nous faire maintenant ? Plus que jamais, les portes s’ouvrent pour construire des solutions », s’enthousiasme l’orateur.
Raconter des histoires
L’une des définitions préférées de Rob Hopkins pour qualifier l’imagination est « la capacité de voir les choses autrement ». Il interroge : « A l’école, en entreprise, en démocratie… avons-nous des systèmes qui nous invitent à voir les choses autrement ? » S’appuyant sur des illustrations d’artistes, des expériences et récits venus d’ailleurs, il appelle à raconter des histoires pour « créer un avenir extraordinaire ».
« Dans notre culture, nous nous racontons l’histoire suivante : l’effondrement est inévitable et le futur va être terrible. Mais qui le dit ? Il est encore possible que nous créions un futur absolument extraordinaire. Nous vivons une période où nous pourrions mettre en place une Transition à propos de laquelle les générations futures chanteront des chansons et raconteront de belles histoires sur les actions incroyables, créatives, courageuses qui ont été mises en place en 2022, 2024, 2025… »
Futur positif
Ces récits imaginés, Hopkins les souhaite, donc, porteurs d’un futur positif. « Et si on posait de meilleures questions ? », s’interroge-t-il encore, sous entendu : pour imaginer, aussi, de meilleures réponses. Invoquant les politiques d’austérité, il les qualifie d’« attaque à l’imagination publique ». De même, Hopkins doute que des discours sur l’effondrement ou la collapsologie feront bouger les gens. « Quand on a peur, on est moins capables de percevoir l’avenir. L’anxiété nous pousse à imaginer un avenir négatif qui nous amène à être encore plus anxieux·ses. Cela mine notre capacité à imaginer. »
L’imagination apparaît pour lui comme vitale pour la santé. Et pourtant, elle semble en perdition. En cause, notamment, l’érosion de notre attention, volée par les réseaux sociaux et autres puissantes plateformes en ligne. « Ces entreprises nous détournent de l’essentiel. Notre attention est soumise à des pressions incroyables. Nous sommes toujours ailleurs. Et si nous ne prêtons pas attention, nous sommes moins imaginatif·ves. » Il souligne également combien « nous ne tolérons plus l’ennui », alors même que l’ennui est un terreau fertile de rêveries et donc, encore elle, d’imagination.
Jeux, nature et écoles
Pour déchainer le pouvoir de l’imagination, Hopkins suggère notamment de redonner au jeu une place centrale, dans le quotidien des enfants comme dans celui des adultes. Et qui dit jeu, dit prise de risques. « Si vous ne laissez par les enfants jouer librement, ils deviendront des adultes qui ne savent pas prendre de risques… Laissons nos enfants prendre des risques, à une époque où nous en avons justement le plus besoin ! » Rob Hopkins invite, aussi, à prendre le temps de se reconnecter à la nature.
« Toutes les écoles devraient être des écoles d’art ! », lance encore Hopkins. A l’affût de « systèmes scolaires prenant soin de l’imagination des jeunes », il évoque des expériences menées en Italie, au Brésil, au Danemark, où les enfants sont les auteur·trices de leurs propres apprentissages, où des ateliers manuels occupent toute leur place, de même que le contact à la nature. Hopkins rêve d’une école en Transition où « toute l’organisation et la structure iraient dans ce sens, en favorisant les énergies renouvelables, des jardins potagers, l’école du dehors… Une expérience de Transition vécue au jour le jour par les élèves au sein même de leur école et pas que dans les cours. »
Réimaginer le politique
Parmi les autres champs où l’imaginaire aurait toutes ses raisons d’être, le politique. « Et si nos dirigeants donnaient la priorité au développement de l’imagination ? », interpelle encore Hopkins. Au sujet de la tourmente Brexit dans laquelle son pays est actuellement plongé, il évoque combien, à l’époque de cette consultation populaire, « répondre par ‘oui’ ou par ‘non’ a détruit l’imagination. Cette division est toxique. » Hopkins propose de « réimaginer la politique » et passe en revue des expériences qui font leurs preuves. Une assemblée citoyenne en Hollande. Un ministère de l’imagination à Mexico. Un bureau de l’imagination citoyenne à Bologne « pour aider les communautés à mettre des projets en place, pour résoudre autrement les problèmes. »
L’imagination est à inviter, aussi, dans les espaces publics, en rue, dans les quartiers. A l’image des Parking Day, ces initiatives permettant aux citoyen·nes de réinvestir les places de parking et l’espace public pour y organiser, le temps d’une journée, des projets créatifs et conviviaux.
Pour le père de la Transition, « l’imagination n’est pas une option » et nombreux sont les endroits où il est nécessaire de ramener des moments de « Et si… ? » pour « créer le futur que nous voulons ».
Céline Teret
Article rédigé dans le cadre du dossier « Les chemins éducatifs de la transition », Symbioses n°122 (printemps 2019)
Plus d’infos : www.robhopkins.net
Lire aussi l’article Comment envisager notre avenir de manière positive ? Passer de «ce qui existe» à «ce qui pourrait être», de «what is» à « what if» et voir l’intervention (en anglais) de Rob Hopkins sur le site du Réseau Transition : www.reseautransition.be