Le populisme, comme la soupe en sachet, c’est une image, bien sûr. Néanmoins, cette comparaison permet de mettre le doigt sur une définition du populisme pertinente pour notre époque. Selon le sociologue français Pierre Rosanvallon, le populisme relève en effet d’une triple simplification.
Il est d’abord une simplification sociologique : dans la bouche des populistes, le peuple est considéré « comme un sujet évident, défini par sa différence avec les ‘élites’. Comme si le peuple était la partie saine et unifiée d’une société qui ferait naturellement bloc dès lors qu’on aurait donné congé aux groupes cosmopolites et aux oligarchies ». Telle une soupe en sachet, au goût et à la texture uniformisés, la référence au « peuple » est pratique et passe bien. Ça donne une impression d’évidence : « nous sommes le peuple ! » Mais dans la réalité, le peuple est pluriel. Il est constitué d’une superposition de « Nous » qui ont chacun leur cohérence. Par exemple : les femmes ; les ouvriers ; le monde paysan ; les anarchistes ; le folklore carnavalesque ; les artistes ; les sans-papiers ; les indépendants ; les chrétiens ; etc. Et chaque personne appartient à plusieurs « Nous » différents. Le fait qu’il existe une petite minorité d’ultrariches qui ne participent pas à la collectivité ne suffit pas à définir, en négatif, une entité homogène.
Le populisme est ensuite une simplification institutionnelle : il « considère que le système représentatif et la démocratie en général sont structurellement corrompus par les politiciens et que la seule forme réelle de démocratie serait l’appel au peuple, c’est-à-dire le référendum ». Or, si la démocratie inclut évidemment des votations, il ne s’agit que d’un élément parmi de nombreux autres. La démocratie se joue certes (un peu) au moment des votes, elle se joue surtout de façon permanente. Comme l’écrit le philosophe Dominique Rousseau, « la démocratie n’est pas une somme arithmétique de suffrages et les citoyens ne sont pas des intermittents de la vie politique. La démocratie est l’expérience vivante des citoyens inventant en continu les formes de leur vie ».
Les critiques envers la démocratie représentative sont évidemment légitimes, mais considérer le référendum comme moyen idéalisé de recueillir la « volonté générale » est une simplification typiquement populiste, selon P. Rosanvallon.
Enfin, le populisme est une vision simplifiée de ce que sont les liens sociaux. Il postule que « ce qui fait la cohésion d’une société, c’est son identité et non pas la qualité interne des rapports sociaux ». Les termes identitaires font ainsi systématiquement partie du jargon populiste. Il y a stigmatisation des immigrés ou des personnes de religions supposément importées. Ce qui définit une société pour les populistes, ce sera la patrie, la religion ou l’héritage culturel, et non le fait de vivre ensemble une situation commune. L’expression « Et nos SDF ? », brandie comme un argument pour ne pas accueillir les réfugiés, est typique de cet état d’esprit populiste qui considère que l’égalité ne vaut qu’une sein d’une communauté d’identité.
Considérer, comme nous le faisons, que le populisme est un danger pour la démocratie, ne signifie pas que la démocratie est parfaite, loin de là. Au contraire, le populisme n’est pas un parasite extérieur à la démocratie, comme certains dirigeants aiment le laisser penser pour éviter d’affronter l’insatisfaction des populations, mais un symptôme de ses dysfonctionnements, de son inachèvement.
Pour Jan-Werner Müller, autre spécialiste de ces questions, le développement du populisme « nous oblige effectivement à réfléchir aux fins de la démocratie et aux failles de notre modèle démocratique ». Dans sa conception, le populisme est un anti-pluralisme, autrement dit le refus de la « polyphonie du peuple » (le fait qu’il y ait toujours plusieurs voix du peuple). Müller considère donc qu’il serait absolument dramatique de lutter contre le populisme (nationaliste) par le populisme (de gauche), car on se retrouverait dans une situation où chaque camp se prévaudrait « d’une seule volonté authentique du peuple pour revendiquer le pouvoir. Le résultat serait une Europe intrinsèquement anti-pluraliste et antipolitique ».
Cet article s’inscrit dans le cadre plus large de la campagne « Soupe populiste : Gavage simpliste » lancée par Les Equipes Populaires en mai 2019. Il s’agit d’une campagne de vigilance face aux discours populistes en apparence séduisants mais dangereux.
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Le populisme présente donc le « pouvoir du peuple » comme une évidence. Pourtant, cela n’a rien d’évident. Le peuple est toujours pluriel, constitué d’un ensemble d’appartenances et de visions en conflit. Le pouvoir non plus n’est pas un concept clair. Parle-t-on seulement du fait de décider des lois ? De les écrire ? De les co-construire ? D’élire des représentants ? De donner son opinion sur un sujet ? Ou parle-t-on du pouvoir d’agir, de penser, de s’associer ? Et de celui de qui ? D’une courte majorité ? Ou parle-t-on plutôt de la possibilité dans une société que tout le monde ait un espace de parole et d’action ?
Les pouvoirs démocratiques en place, quant à eux, stigmatisent souvent les populistes pour nier le profond malaise sociétal, les inégalités, l’absence de réponse politique à des enjeux majeurs.
Comment lutter alors contre le populisme sans faire le jeu du néolibéralisme en place ? C’est-à-dire refuser à la fois le statu quo et les simpli- fications ? Sans doute en jouant à fond notre rôle de corps intermédiaire : en faisant un potage maison ensemble ! En recueillant les paroles et les indignations, en pratiquant le débat d’idées, en identifiant ce qui est injuste, ce qui manque, ce qui fait défaut. Le peuple n’est pas homogène, c’est sûr, mais pour « faire peuple », il est certainement nécessaire, entre autres, de réduire les inégalités et de partager un horizon en commun. Ces deux aspects font cruellement défaut aujourd’hui.
Guillaume Lohest
Article publié dans Contrastes n°191 (mars-avril 2019), revue des Equipes populaires
Illu : Les Equipes populaires
Il existe bien sûr d’autres angles d’approche du populisme. Un angle d’approche historique, tout d’abord. Le populisme russe (Narodniki, les « gens du peuple ») et le People’s Party américain datent tous deux de la fin du dix-neuvième siècle et sont des mouvements paysans. On désigne également sous ce vocable certains régimes sud-américains, de l’Argentine de Perón au Venezuela de Chavez et Maduro. Un angle d’approche critique, ensuite. Certains considèrent que le concept de « populisme » est uniquement un moyen pour les pouvoirs en place de discréditer les mouvements d’opposition. La plupart des leaders dits populistes partagent évidemment cette critique.
Enfin, il y a un angle d’approche positif du mot populisme. Soit dans une définition simplifiée qui fait référence au seul sens originel du terme : le populisme comme « souci du peuple », comme souci de parler comme le peuple, avec le peuple, pour le peuple (reste la problématique définition du peuple). Soit via une approche théorique : le « populisme de gauche » de Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, qui a le vent en poupe ces dernières années, considère le populisme comme une stratégie de conquête du pouvoir, la construction d’un peuple par la mise en équivalence de demandes sociales diverses, par opposition à un adversaire commun, la « caste » (les élites). Ce populisme s’assume comme tel : il reconnaît, en quelque sorte, la nécessité de batailler avec l’extrême droite sur le terrain des récits mobilisateurs, quitte à utiliser les mêmes armes, voire en partie les mêmes mots.
Références citées :
• Pierre Rosanvallon, « Penser le populisme », La Vie des Idées, 27 septembre 2011.
• Hervé Berville, « Le populisme est un anti-pluralisme », recensement d’un ouvrage de Jan-Werner Müller, La Vie des Idées, 19 avril 2017.
• Dominique Rousseau, « De la démocratie représentative à la démocratie continue », Libération, 14 février 2017.