« Vous verrez, c’est très fort, c’est un plaisir quotidien d’y marcher, de voir comment elle évolue… D’une année à l’autre, d’une saison à l’autre, votre forêt va se transformer, les feuillages changent de couleur, les bougeons arrivent au printemps, les animaux s’installent, les champignons s’étalent dans les sous-bois en automne… Il y a aussi la poussée des arbres, les espèces pionnières vont grandir en premier, puis quelques années plus tard, d’autres espèces vont prendre le dessus. Des mécanismes de compétition et coopération entre les arbres leur permettent de grandir. Choisir des espèces de chez nous a un réel intérêt pour la faune, la flore, la biodiversité. Les arbustes à baies vont attirer des oiseaux, des petits insectes vont trouver leur abri et de quoi se nourrir… Les espèces indigènes connaissent mieux les odeurs, les saveurs des plantes d’ici. Bien différente des forêts habituelles en sylviculture, composées de grands fûts, larges et droits, votre forêt, elle, sera faite d’arbres très effilés, tortueux, à la recherche de la lumière. Et dans la lisière conservée en bordure de forêt, vous verrez des fleurs colorées, des papillons sympathiques, des petites plantes à observer… »
Nicolas de Brabandère aime raconter de belles histoires. Celles de la vie qui grouille dans les forêts, et plus particulièrement dans les forêts qu’il propose de planter, partout, sur des terrains en friche, privés ou publics, au cœur des écoles ou des entreprises, dans des zonings ou en bord de route. En 2016, ce biologiste et naturaliste fonde Urban Forests, une entreprise s’appuyant sur la méthode Miyawaki pour créer des forêts indigènes. Aussi nommées forêts primitives, ancestrales, patrimoniales, urbaines ou encore mini-forêts, ces forêts s’inspirent d’une technique mise au point par le botaniste japonais Akira Miyawaki. Sa méthode s’articule autour du principe de végétation potentielle naturelle, à savoir tenir compte de la végétation naturellement présente dans la zone étudiée pour créer un écosystème forestier à la biodiversité foisonnante. Il s’agit, en somme, de reconstituer, de la main de l’humain, des espaces à haute naturalité, des forêts non impactées par l’activité humaine.
Petite forêt et ses bienfaits
Séduit par la méthode, Nicolas de Barandère s’y est donc formé, en Inde. Depuis 2016, il propose de l’appliquer chez nous, en Belgique. Lorsqu’il présente son projet, le botaniste aime assortir ses belles histoires de données scientifiques. Et de chiffres accrocheurs : « Création de forêts urbaines 100% naturelles, 10x plus rapides que des plantations classiques, 30x plus denses et 100x plus de biodiversité », peut-on lire sur le site web d’Urban Forests.
Les bienfaits procurés par une forêt indigène Miyawaki sont multiples : amélioration la qualité de l’air et de l’eau, absorption du bruit, régulation des températures, protection du sol et diminution des risques d’érosion et d’inondation, stockage de CO2 (qui, du coup, ne file pas dans l’atmosphère). Et globalement, pour celles et ceux qui côtoie cette forêt, un cadre de vie plus agréable. « Mon but, c’est que les gens vivent une émotion avec ces forêts, explique Nicolas de Brabandère. La nature est souvent vue comme quelque chose d’abstrait. Les gens ont le sentiment que la nature n’est pas vraiment autorisée dans leurs milieux de vie, là où ils habitent, là où ils travaillent… Ils ne la vivent pas. Pourtant, ils adorent ce contact, cette proximité. L’idée d’Urban Forests, c’est d’obtenir des résultats rapidement pour que les gens puissent vivre avec une nature fonctionnelle et sauvage, autour de chez eux, à l’école, au travail… »
Projet participatif
Pour créer une forêt façon Urban Forests, 100m2 suffisent (l’équivalent de 8 places de parking), auxquels s’ajoute un débordement de 5 mètres. Nicolas de Brabandère se charge, en amont, du travail d’identification des espèces indigènes, afin de déceler les essences à planter dans la zone choisie. « Il y a une base théorique, le potentiel naturel de végétation, que je complète d’observations de terrain. » Une seule forêt peut contenir 15 à 30 espèces différentes d’arbres et arbustes.
Le projet se pense ensemble, avec les propriétaires d’une parcelle, avec le personnel d’une entreprise, avec une communauté scolaire. « Au moment de la conception, on réfléchit ensemble où mettre les sentiers. On peut prévoir une ouverture au milieu de la forêt pour placer une table, des bancs… » Quant à la plantation des arbres, elle se fait systématiquement de façon participative, avec des volontaires proches du projet.
A Barvaux, un lieu revit
A l’école communale de Barvaux, en province du Luxembourg, la plantation a eu lieu au printemps 2018, sur une zone de 100m2, dans le fond de la cour de récréation. Elèves, enseignants, direction, encadrant·es, personnel administratif et d’entretien, toutes et tous ont plongé les mains dans la terre pour faire naître leur forêt. Chacun·e a choisi « son » arbre, parmi les 300 plants à disposition et les 24 essences sélectionnées. Un an plus tard, les chênes, noisetiers, tilleuls, sycomores, fusains, hêtres, frênes, merisiers, aulnes, sorbiers, pruneliers… ont déjà bien grandi.
« Avant, c’était une zone de pelouse, les enfants y allaient peu, explique Isabelle Laixhay, institutrice. Depuis qu’on a installé les plants d’arbres, les enfants occupent cet espace, spontanément et très souvent, lors de la récréation. » Assis·es auprès de leur petit arbre ou sur l’un des rondins placés sur le sentier, les enfants habitent cet havre de paix aux mille et une découvertes possibles. « Ils apprennent à se poser, à contrôler leurs mouvements et à respecter la nature qui les entoure », poursuit l’institutrice, enchantée. Cette forêt en devenir est aussi un lieu d’apprentissages à portée de main. Des petits de maternelles aux grands de primaires, toutes les classes s’y rendent, pour observer l’évolution des arbres, au fil des saisons. « On est aussi allé dans le village retrouver les mêmes essences d’arbres pour observer ce que cela donnerait d’ici quelques années. Cela invite les enfants à regarder vraiment les arbres, parce que même si ce sont des enfants de la campagne, ils ne voient plus la nature qui les entourent, ils n’y portent pas attention. » Dans cette école, l’intervention d’Urban Forests a été financée dans le cadre de l’appel à projet Ose le vert, recrée ta cour (1). La commune a également collaboré, via la mise à disposition de matériel, le respect du fauchage tardif ou encore l’engagement à mi-temps d’une Madame Nature, une personne venant donner des cours d’éveil à la nature dans toutes les classes de l’entité.
« L’avantage de ce projet, c’est qu’il ne se limite pas à quelques mois, souligne encore Isabelle Laixhay. Le regard posé sur la forêt à 6 ans n’est pas le même que celui posé à 12 ans. Les enfants vont donc regarder leur arbre et la forêt différemment chaque année et prendre conscience de l’évolution, qui est lente, mais qui est là. » Du temps à disposition, donc, pour déployer au cœur de leur forêt bien des projets pédagogiques. L’envie circule aussi, à Barvaux, de faire l’école du dehors, à partir de la rentrée prochaine.
A Gembloux, changer les mentalités
Il y a quelques mois, l’Institut Technique Horticole (ITH) de Gembloux a lui aussi planté sa forêt, derrière l’école, sur une zone à l’abandon de 900m2. Le projet a impliqué des classes de 6e secondaire en technique de qualification, de trois sections : horticulture ; agent·es techniques nature et environnement ; technicien·nes de l’environnement. Analyse du sol et observation de la végétation indigène ont été réalisées par des élèves, avec Nicolas de Brabandère. La classe de 7e professionnelle, section aménagement parc et jardin, a préparé le terrain. L’ensemble de l’école a ensuite planté 2700 plants, issus de 28 essences différentes. Les élèves de 5e et 6e primaire d’une école voisine ont aussi participé à la plantation.
« On a planté un jeudi, un jour de manifestation des jeunes pour le climat, se souvient le directeur, Olivier Kuntz. C’était une façon de poser un acte concret. En participant à la plantation, il y a aussi un respect du lieu qui s’installe. Et pour notre école, labellisée Agenda 21 scolaire, ce projet s’inscrit dans un cadre plus global de sensibilisation à l’environnement et au mieux vivre ensemble. »
A l’ITH de Gembloux, accueillir une forêt qui demande très peu d’entretien a permis aux élèves d’appréhender autrement leur futur métier : « Mettre en place une zone dans laquelle on n’intervient plus, ce n’est pas habituel, surtout dans le domaine de l’entretien des parcs et jardins, poursuit Olivier Kuntz. Une zone « pas entretenue » dans une école d’horticulture, cela invite à changer les mentalités. Dans la même optique, on utilise plus de produits phytosanitaires depuis quelques années. »
Pour l’heure, le taux de reprise de la forêt de l’ITH est « excellent », selon le directeur. Les deux premières années, avec l’accompagnement de Nicolas de Brabandère, les élèves retireront les adventis qui pourraient concurrencer certains plants. Ensuite, comme toutes les forêts indigènes Miyawaki, plus aucune intervention ne sera nécessaire dès la 3ème année. Pour cette école, comme pour les autres, il n’y aura plus qu’à s’immerger dans la forêt, les sens en éveil.
Céline Teret
(1) www.oselevert.be
Contact : Urban Forests – http://urban-forests.com
Article publié dans le dossier « Apprends-moi l’arbre » (n°123, été 2019) de Symbioses, magazine du Réseau IDée