« Je suis venue ici parce que… »
« Je ne pouvais pas retourner chez mon père et je n’avais personne qui pouvait m’héberger le temps de rebondir avec mon enfant nouveau-né. Ici, je réfléchis pour savoir si je vais reprendre des études ou chercher un travail. La vie en communauté, ça peut être très bien comme très compliqué, ça dépend des jours et des gens qui sont là. On peut avoir des idées très contradictoires. Ce qui est bien, c’est qu’on a des gens avec qui discuter. On peut aussi s’entraider.
J’aime bien me débrouiller par moi-même. J’ai besoin de me sentir chez moi. Ici, ce n’est pas un vrai chez soi, on a juste une chambre et un frigo. J’apprécie l’aide que j’ai ici parce que j’ai vraiment besoin d’aide et ça me fait du bien d’en avoir, mais je suis quelqu’un de très fier. Quand je suis rentrée ici, je pleurais de me dire : « Tu ne vas plus être indépendante ! ». Et j’étais effrayée à mort mais voilà, ça va. En même temps, je me dis : c’est transitoire, c’est pour un mieux, pour que ce soit bien après. »
Peur, révolte, rupture, fuite, désespoir… Que de souffrances amassées quand il faut fuir la maison sans pouvoir y retourner. Où aller ? Où se réfugier ? Où se poser ? Pour les femmes en charge d’enfant, c’est difficile. Solliciter les parents, les proches connaissances pour une aide urgente ? Encore faut-il être un peu entourée et oser demander. Dans les situations dramatiques, qu’elles soient brutales ou le résultat de semaines, voire d’années difficiles, c’est le désarroi complet et la solitude. Peut-être l’errance. Certaines se tournent alors vers l’asbl Les Trois Portes, à Namur, qui comprend plusieurs services, dont une Maison d’Accueil pour Femmes et Enfants (MAFE).
Que demandent-elles ? Un toit
Les femmes qui sont accueillies à la MAFE arrivent là pour différentes raisons. La moitié d’entre elles fuient des violences intrafamiliales. Elles viennent soit de leur propre initiative, soit parce qu’elles ont été informées de cette possibilité par les services sociaux. Toutes sont sans logement.
En 2018, 63 femmes dont 24 isolées, 37 seules avec enfants et deux femmes avec leur compagnon (1), ont été accueillies à la MAFE. Sur quels critères ? « A priori, tout le monde peut venir à condition d’avoir ou de pouvoir prétendre à des revenus, répond Sandrine Vieillevoye, Directrice du service. L’hébergement est payant pour une part de quarante pour cent des revenus. Les personnes sans papier ne sont pas admises, sauf si elles sortent d’un centre de réfugiés car le CPAS interviendra. »
Chacune son histoire
Aucune situation ne ressemble à une autre vu le parcours personnel de chacune. Il n’y a pas de modèle ou de manière type d’accompagner. « D’abord, elles ont besoin de souffler, explique Sandrine Vieillevoye. Notre travail est d’entrer en lien avec elles et de faire appel à leurs ressources. Certains sont dans une forme de résilience car elles ont déjà entamé une reconstruction de soi, mais d’autres sont dans des difficultés de survie depuis toujours, et il faut réveiller leurs forces. »
Une admission nécessite plusieurs étapes qui passent par l’accueil, l’écoute des motivations et des besoins de la personne. Si une difficulté particulière se présente, toute l’équipe socio-éducative est consultée pour mesurer l’impact éventuel de cette nouvelle entrée sur l’équilibre du groupe. Ensuite, si la personne se sent prête à entrer dans un partenariat, elle signe un contrat d’accueil où elle donne son accord par rapport au règlement d’ordre intérieur. Une assistante sociale et une éducatrice deviennent ses référentes pour l’accompagner plus particulièrement durant son séjour. Après un mois, un projet d’accompagnement individuel, selon une obligation décrétale de la Région Wallonne, est signé. La durée de séjour est de neuf mois maximum, avec parfois une prolongation jusque dix-huit mois qu’il faut, bien sûr, justifier à la Région Wallonne.
Les Maisons d’accueil sont reprises dans le Code Wallon de l’Action Sociale et de la Santé (CWASS). La MAFE fait donc l’objet de contrôles réguliers qui vérifient les conditions d’octroi d’agrément. Elle dispose non seulement du cadre de base mais aussi de tous les agréments spéciaux vu l’étendue de ses activités : maison d’accueil, accompagnement des enfants, de la violence conjugale, post hébergement, stabilisation pour hommes ayant un vécu de rue, crèche à vocation de mixité sociale avec accueil d’urgence…
Réinsertion ou déplacement ?
Patricia Vansnick, la directrice générale des Trois Portes, vit le projet MAFE avec la même conviction qu’il y a quinze ans quand elle a commencé. « Je suis rétive au mot de réinsertion, dit-elle. Les personnes qui viennent ici font partie de la société, elles sont dans l’espace social, comme n’importe qui. Ce n’est pas de la réinsertion, mais un déplacement, d’un vécu de survie vers un lieu plus sécurisé. Et elles ont des choses à dire. N’importe qui peut un jour se retrouver dans un des services des Trois Portes suite à une rupture dans sa vie. »Patricia Vansnick admet que le travail avec des personnes en grande fragilité est usant. La société ne reconnaît d’ailleurs pas l’importance de cet accompagnement. Or, établir des relations de confiance, c’est essentiel, même si cela prend du temps.
Il est primordial que le personnel et les bénévoles soient au clair avec le sens de leur engagement. D’autant plus qu’il y a peu de reconnaissance de la part de la société. « La question de fond, poursuit la directrice générale, est : comment considère-t-on ces personnes fragiles ? Contribuons-nous à les fragiliser encore plus ou à leur donner leur place de citoyen ? Par la manière dont nous travaillons, nous sommes acteurs de précarisation ou de rétablissement. Nous devons faire face à notre impuissance, à de la révolte parfois devant ce que l’administration exige de nous, mais nous sommes obligées d’obéir aux règles de l’institution. La MAFE fait partie de l’asbl Les Trois portes et c’est une force, avec un poids institutionnel et politique. Mais tout un travail de réflexion et d’ajustement sur nos valeurs est entrepris. On se rencontre entre les six services et on mélange les métiers : secrétaires, éducateurs, infirmières… quatre-vingts hommes et femmes discutent dans les six groupes sur leur position d’intervenant·e et sur l’avenir de l’asbl. Nous sommes bien dans les pas de la fondatrice, Sœur Agnès Gilles, qui était très avant-gardiste pour l’émancipation des femmes. J’ai eu la chance de la connaître. »
Avec les nouveaux logements (voir encadré ci-dessous), chaque unité familiale aura son propre lieu. De quoi mieux vivre en proximité des autres et, malgré l’adversité, se sentir considérée au point de pouvoir bénéficier d’un lieu à soi !
Godelieve Ugeux
Article publié dans Plein Soleil n°848 (décembre 2019), la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rural
Photo : Godelieve Ugeux
>>> Plus d’infos : www.troisportes.be
La nuit du 29 avril 2017, le bâtiment qui abritait sept femmes et sept enfants a été détruit par un incendie. Un vaste élan de solidarité, venu du privé et du public, a permis, non seulement de reloger les personnes traumatisées par l’événement, mais de poursuivre les activités et de décider de reconstruire très vite. Le projet a évolué vers un hébergement à partir d’unités de vie individuelles.
Deux ans après l’incendie, neuf unités de vie autonome (appartements et studios) viennent d’être reconstruites avec salle de jeu, buanderie, salles de réunion et atelier technique. Dans la foulée, un projet bis est lancé avec l’aménagement de huit appartements dans l’ancienne maison pour décembre 2020. Bientôt, chaque femme et/ou chaque famille sera accueillie dans un studio ou un appartement, ce qui permet aux personnes de se concentrer sur leur propre projet sans les interférences du groupe, tout en bénéficiant d’une structure collective et accueillante.
Appel aux dons
Pour participer à la construction des nouveaux logements : BE10 6362 2656 0304 – Déduction fiscale à partir de 40 € de don par an. Merci pour elles.